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Une nouvelle stratégie pour la préservation de la nature

GENÈVE – L’économie mondiale est dépendante, mais comme à une drogue, de l’extraction sans fin des ressources naturelles. Nous dépendons entièrement de la nature, mais sa contribution – par exemple l’eau utilisée pour fabriquer nos vêtements, la terre où pousse notre nourriture – est le plus souvent tacite et invisible. Pour construire un avenir qui soit favorable à la nature, une nouvelle génération de marchés, fondés sur des principes et correctement gouvernés, est indispensable aux actifs et services écosystémiques.

La nature et la stabilité climatique sont les deux faces d’une même pièce ; leurs destins s’entremêlent. La conservation et la restauration de la biodiversité sont essentielles à la limitation des émissions de gaz à effet de serre (GES), par ailleurs, un réchauffement mondial non contrôlé ruinerait la richesse naturelle planétaire. Mais les efforts entrepris pour décarboner l’économie sont insuffisants s’il s’agit de prévenir l’exploitation des écosystèmes. On peut aujourd’hui apprendre des stratégies climatiques, s’en inspirer et en profiter, on ne peut pas les copier-coller.

De nouvelles stratégies sont indispensables pour mettre un terme à la perte de la biodiversité et pour l’inverser, et la Taskforce on Nature Markets a été fondée, en 2022, pour aider à les concevoir. Le résultat des travaux de la task force et ses recommandations concernant les meilleures manières de mettre en place une nouvelle génération de marchés qui conservent – et non détruisent – la nature seront soumis aux participants du sommet régional pour la forêt tropicale amazonienne qui se tient à Belém, au Brésil.

La nécessité de cette task force répond à un changement d’orientation dans l’appréciation de la nature. Ainsi des efforts considérables sont-ils déployés pour quantifier les risques naturels et pour exiger des entreprises la transparence dans leur rapport à la nature. L’agriculture régénérative suscite de plus en plus d’intérêt, le partage des avantages découlant de l’utilisation des ressources génétiques alimente un vigoureux débat et des marchés de crédits biodiversité commencent à se mettre en place.

Les défenseurs des solutions articulées aux marchés affirment que ces évolutions, et les signaux politiques qui les accompagnent, parviendront à mettre l’économie mondiale sur la voie de résultats favorables à la nature. Les écosystèmes de la planète, assurent-ils, seront sauvés si l’on récompense les entreprises et les gouvernements qui fournissent des produits financiers et des services compatibles avec la préservation de la nature et si l’on oriente l’investissement vers la restauration de la biodiversité.

Dirigeants politiques et d’entreprises se sont appuyés sur une stratégie identique pour atténuer le réchauffement climatique mondial – avec des résultats nuancés. Mais il est plus facile de ramener les changements climatiques à un modèle de marché, pour deux raisons : les émissions de GES sont aisément quantifiables et vérifiables, d’une part, les technologies vertes, d’autre part, continuent de capter d’importants montants d’investissements. Le monde naturel, quant à lui, ne dispose ni d’un équivalent des émissions de GES, ce qui rend difficile de lui attribuer une échelle de prix, ni d’un paysage technologique susceptible de canaliser les investissements, hormis les clusters émergents des technologies qui permettent de produire en faisant l’économie de ressources naturelles, comme la viande cultivée en laboratoire ou l’agriculture verticale.

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Une autre différence fondamentale concerne le rôle des peuples indigènes et des communautés locales dans la préservation de la nature. Les peuples indigènes, qui ne représentent pourtant que 5 % de la population mondiale protègent 80 % de la biodiversité de la planète. Les politiques et les instruments fondés sur le marché, même bien intentionnés, pourraient porter préjudice à ces gardiens de la nature et mettre en péril les perspectives de conservation (par conséquent les efforts d’atténuation des changements climatiques).

Certes, les mécanismes du marché peuvent et doivent être utilisés pour sauver la nature, mais, si l’on considère l’ampleur du défi, ils n’y réussiront qu’à condition que leurs principes de gouvernance et leurs méthodes d’exploitation soient conçus pour encourager l’équité et la prospérité durable. La task force donne sept conseils pratiques qui pourraient conduire l’économie mondiale sur des voies bienfaisantes pour la nature.

La nécessité pour les ministres de l’économie et des finances et pour les banquiers centraux d’aligner plus étroitement les règles économiques et financières sur des objectifs de préservation de la biodiversité et sur le soutien aux gardiens de la nature figure en tête de liste. Lors des révisions des accords commerciaux et d’investissements, la coordination de la politique internationale, par le moyen du G20 et des autres forums internationaux, doit garantir que les pays à faible revenu mais riches en nature n’auront pas à porter le fardeau du coût de la transition.

Les banques centrales et les régulateurs doivent aussi garantir que les marchés financiers soient en phase avec les engagements pris sur le climat et la préservation de la nature. Ceux qui gouvernent la finance mondiale doivent être plus proactifs – et les objectifs intermédiaires, même atteints, que sont la stabilité financière et l’intégrité des marchés ne suffisent pas.

La gouvernance des marchés agricoles et de bétail, dont les effets sur la biodiversité, le climat et les sociétés sont déterminants, doit être révisée. Des actions ciblées devraient comprendre un renforcement de la transparence, notamment une traçabilité exhaustive, et mettre un terme à l’indifférence actuelle des autorités de régulations aux questions de préservation de la nature.

Les règles contre le blanchiment doivent être plus attentives aux crimes environnementaux, notamment à la déforestation, à la pêche et à l’extraction minière illégales ainsi qu’au trafic d’espèces sauvages. Les investissements légaux dans le secteur agricole, notamment dans les exploitations agricoles et d’élevage peuvent financer sans le vouloir ces activités criminelles, qui détruisent la nature et bien souvent alimentent la violence.

Mette un terme à la perte de la biodiversité et en inverser le cours est un défi sans équivalent pour une humanité totalement dépendante de la santé des écosystèmes. Il nous faut donc une nouvelle stratégie de préservation de la nature. Elle peut s’appuyer sur les stratégies actuelles de préservation du climat, tout en favorisant des mesures plus ambitieuses et adaptées. Une évolution indispensable à la création de marchés de la nature, si l’on veut que ceux-ci puissent obtenir pour les populations et pour la planète des résultats favorables à cette nature qu’ils sont censés défendre.

Sandrine Dixson-Declève est coprésidente du Club de Rome et membre de laTaskforce on Nature Markets. Simon Zadek est directeur exécutif de NatureFinance et coresponsable du secrétariat de la Taskforce on Nature Markets.

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