jk220.jpg Jennifer Kohnke

L’essence de Poutine

MOSCOU – Peu de personnes auraient pu imaginer en décembre dernier que les Russes, pour la première fois depuis vingt ans, se soulèveraient et s’uniraient par dizaines de milliers contre le gouvernement, et encore moins Vladimir Poutine, qui prétend récupérer la présidence russe le 4 mars prochain. Contrairement aux rebellions du Printemps arabe, ce ne sont pas les pauvres ou les déshérités du pays qui sont la force motrice de ces manifestations, mais plutôt la classe moyenne urbaine émergente. C’est une différence de taille, car historiquement, les transitions démocratiques réussies ont presque toujours nécessité la mobilisation politique de la classe moyenne.

Ces Russes de la classe moyenne instruits et prospères demandent à être respectés par la hiérarchie du Kremlin qui se complet dans la duperie et la corruption. La goutte qui a fait déborder le vase est la fraude éhontée qui a entaché les élections parlementaires en décembre dernier, et qui a convaincu les citoyens du mépris dont fait preuve le régime à leur égard. Les Russes sont particulièrement scandalisés par Poutine et son arrogance à considérer que le mandat de président puisse être « loué » à des alliés – en l’occurrence Dmitri Medvedev aujourd’hui en exercice – et donc récupérable selon son bon vouloir.

Mais malgré l’ampleur des manifestations à Moscou, Saint Petersburg, et dans d’autres villes, les autorités ont refusé d’honorer l’une des exigences des manifestants, l’annulation des résultats des élections. Il est en effet de plus en plus probable que, d’une façon ou d’une autre, Poutine passera six années supplémentaires à la tête de la Russie.

Qu’implique pour la Russie une nouvelle présidence Poutine ?

Confortablement préservé de toute réelle concurrence politique, Poutine ne peut revenir au Kremlin en tant que « président de l’espoir », ainsi qu’il s’était qualifié en 2000 au début de son premier mandat. De plus, il ne ressemble plus beaucoup non plus au « dirigeant national », qui, dans son second mandat, avait stimulé l’état et présidé au boom économique.

Alors que peut être un Poutine III ? Comment utilisera-t-il les pouvoirs que lui confère son mandat de président dans un système politique manquant cruellement de processus de contrôles et d’équilibres des pouvoirs ?

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La réponse proposée dans les discours et les articles préélectoraux de Poutine est inquiétante : sa présidence sera fondée sur une réelle incompréhension de la structure contemporaine des relations internationales, des marchés, et de la démocratie, et motivée par son incontrôlable messianisme. Y coexistent pêle-mêle des appels au libéralisme et des dogmes étatistes, tandis que la rhétorique pompeusement populiste prend le pas sur la complexité de la situation et la difficulté des choix à effectuer.

En fait, Poutine n’a rien à offrir d’autre aux Russes que sa grossière rhétorique éculée. Il ne comprend plus les problèmes auxquels le pays est confronté, et n’a donc aucune idée de ce qui doit être fait. Et il ne semble pas non plus préoccupé par les dommages que sa mauvaise administration présage pour l’avenir de la Russie. La troisième présidence de Poutine sera le règne de l’instinct et de l’appétit, plutôt qu’un gouvernement de raison et de retenue.

Bien sûr, Poutine entamera son nouveau mandat avec des mots sincères de renouveau, de développement, de démocratisation et sur le fléau de la corruption. Il pourrait même prendre des décisions symboliques, comme de se désolidariser de personnalités politiques et des médias répréhensibles, ou faire montre d’indulgence envers ceux qu’il a fait emprisonner pour s’être opposé à lui. Mais tout cela ne serait destiné qu’à conforter son pouvoir politique, plutôt qu’à le réformer.

Le discours du Kremlin s’est bien teinté de liberté et de modernisation ces dernières années. Mais sans la volonté politique indispensable à la mise en œuvre des changements nécessaires, ces promesses resteront vaines. Le problème est que le principe de concurrence libre et loyale caractéristique du monde développé est à l’encontre de l’état russe tel que conçu par Poutine – un état fondé sur la fusion du pouvoir et des milieux affairistes.

Il en résulte que même si le Kremlin devait soudain miraculeusement opter pour le changement, l’illégitimité de l’ensemble du gouvernement fédéral rendrait impossible tout processus décisionnel efficace. Plutôt que de formuler et de mettre en place des réformes exhaustives et transparentes, le gouvernement n’aurait d’autre choix que de continuer à profiter – et d’éviter par dessus tout de menacer les intérêts particuliers.

Personne ne devrait être dupe d’éventuelles concessions que le Kremlin pourrait accorder. Les libéraux russes ne gagneraient rien à se compromettre et à accorder leur bénédiction au troisième mandat présidentiel de Poutine. Ils n’obtiendraient en échange, tout comme par le passé, aucun réel pouvoir, et tout éventuel changement en provenance de la structure interne du pouvoir ne serait que minime. Car les démarches des autorités visant à apaiser l’opinion publique continueront d’être accompagnées de pressions plus fortes sur l’opposition et les organisations de la société civile.

Il incombera donc à la société civile et aux organisateurs des mouvements de protestation russes de faire avancer les choses dans les mois qui suivront le retour de Poutine à la présidence. Les Russes doivent donc persévérer et formuler un ensemble d’exigences politiques spécifiques. Ils doivent insister sur des changements réels et profonds du système politique russe – plutôt que sur des améliorations de façade. Le principal objectif est désormais d’obtenir des élections libres et justes, qui permettront la mise en place d’un gouvernement légitime et responsable.

La liste des problèmes pressants auxquels la Russie est confrontée est déjà longue, et des solutions doivent leur être trouvées sans tarder. Aussi longtemps que Poutine restera au pouvoir, cette liste ne fera que s’allonger.

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