5856e60346f86f8c08a5c900_pa3516c.jpg Paul Lachine

Imaginons un nouveau monde méditerranéen

NEW YORK – Les pays méditerranéens traversent une zone de turbulence jamais connue depuis l’époque de la décolonisation et de l’indépendance. Les révolutions populaires en Tunisie et en Égypte ont balayé les autocraties établies. Le Libyen Mouammar Kadhafi s’accroche encore et les responsables politiques en Algérie et au Maroc s’efforcent de maintenir leur autorité.

Un espace méditerranéen nourri par des valeurs, des intérêts et des espoirs démocratiques partagés peut-il émerger de ce maelstrom ?

Les pays méditerranéens comptent une population de 475 millions d’habitants – 272 millions d’Européens, dont 20 millions de musulmans, et 200 millions de non-Européens arabes et juifs. Il semble aujourd’hui possible que l’Union pour la Méditerranée (UPM), le mécanisme établi par le président français Nicolas Sarkozy en 2008 pour améliorer la coopération régionale, s’attaque au défi de revendiquer le passé de la région en tant que berceau de la raison, de la tolérance et de l’humanisme. L’UPM pourrait proposer un modèle de coexistence à un monde blessé par la dictature et la crainte du fondamentalisme islamique.

La montée des tensions en Europe autour de ce qui s’est cristallisé de manière sinistre comme « la question musulmane » a fait oublier bien trop vite qu’il y eut un temps où l’Islam – une civilisation bien plus tolérante et inclusive qu’elle ne le paraît depuis les évènements du 11 septembre – était totalement intégré à la vie européenne.

Aujourd’hui, pas moins qu’hier, les peuples méditerranéens – musulmans, chrétiens et juifs – partagent des réalités géopolitiques, démographiques et économiques indéniables. Ils devraient se rappeler que la diabolisation, l’exclusion et la division ne sont pas les seules options – et ne devraient pas être le destin de la région.

Parmi les principaux interlocuteurs de Sarkozy à la naissance de l’UPM en 2008 se trouvaient le président Zine El Abidine et le président égyptien Hosni Moubarak. Maintenant qu’ils sont partis, tout comme leur approche limitée et restrictive du dialogue international, basée presque exclusivement sur des relations d’état à état sans contribution significative de la part de leurs sociétés civiles.

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Il est attristant de constater que les responsables européens adoptent parfois ces positions restrictives aussi pour répondre aux exigences de court terme de la politique électoraliste plutôt que de s’atteler aux enjeux de la pensée stratégique de long terme. Il déclarait en effet en février que le multiculturalisme était un « échec », avant d’ajouter, « nos compatriotes musulmans devraient pouvoir vivre et pratiquer leur religion comme n’importe qui… mais cela ne peut être qu’un Islam français, pas simplement un Islam en France. »

Sarkozy, bien sur, n’a pas défini ce qu’il entendait par un « Islam français. » Mais ce commentaire a largement été interprété comme un écho aux déclarations faites quelques jours avant par Marine Le Pen, le chef du parti Front National d’extrême droite.

Les esprits plus tempérés devraient plutôt se tourner vers l’Espagne musulmane, Al-Andalus, qui brillât en Europe du huitième au quinzième siècles – une période fertile de génie culturel qui a ouvert la voie à la Renaissance occidentale, ainsi qu’à un paradigme exaltant de convivencia, ou coexistence.

L’intégration du monde méditerranéen dans une communauté tolérante capable d’assurer paix et prospérité à l’ensemble de ses peuples est possible aujourd’hui, parce que cela s’est déjà fait par le passé. Une telle réalisation offrirait au monde une alternative nécessaire au modèle de plus en plus discutable de globalisation économique.

Si l’on observe l’Europe avec un certain recul, il est assez tentant de dire que le continent s’efface de la scène internationale et qu’il est en conflit avec lui-même et avec son passé. La réalité est pourtant plus nuancée. L’Europe d’aujourd’hui est pleine de potentiel, à condition que la région méditerranéenne se dote des forces et des moyens nécessaires à des initiatives comme l’UPM.

Deux caractéristiques importantes des deux révolutions tunisienne et égyptienne seront marquantes pour évaluer les chances d’une renaissance d’une Union Méditerranéenne.

D’abord, l’usage important et efficace des médias sociaux dans les deux pays a révélé le niveau d’expertise et de créativité technologique des jeunes. Plus significatif, il a mis en évidence le niveau sans précédent de conscience politique et d’activisme de cette génération. En effet, le succès de n’importe quelle nouvelle structure méditerranéenne sera mesuré à l’aune de sa capacité à répondre aux aspirations et aux exigences de cette jeune génération politiquement active à travers toute la région.

Pour les mêmes raisons, une nouvelle union méditerranéenne pourrait servir de cadre à une nouvelle vitalité morale, mue par les même valeurs universelles qui ont mobilisé la jeunesse en Tunisie, en Égypte et au-delà – liberté, responsabilité individuelle et sens des responsabilités, transparence, tolérance, solidarité avec les faibles et les opprimés, justice, égalité des sexes, et autres droits humains fondamentaux et démocratiques.

A la lumière de cette tendance pleine d’espoir, combien de temps l’obsession de l’Europe pour le fondamentalisme islamique gardera-t-elle son emprise ? Combien de temps la soi-disant « question musulmane » sera-t-elle utilisée comme un outil pour vaincre les adversaires politiques ? De nombreux jeunes électeurs européens, peut-être mieux avisés, auront probablement peu de tolérance pour de telles tactiques opportunistes.

Enfin, il faut espérer que le concept d’appartenance à une même famille méditerranéenne apporte de nouvelles solutions à de vieux conflits – par exemple, offrir l’apaisement désiré tant par les Palestiniens que par les Israéliens, mais que l’ordre arabe vieillissant n’a pas réussi à obtenir.

Les grands philosophes des Lumières n’auraient pas hésité à endosser la conscience morale exprimée dans les messages qui ont inondé le cyberespace pendant la révolution tunisienne. Le meilleur de la laïcité morale était pleinement visible depuis les rues tortueuses de Sidi Bouzid jusqu’au raffinement imposant de l’avenue Habib Bourguiba à Tunis.

Cette notion renouvelée d’appartenance à une même famille humaine et à un même univers moral a profondément touché les Européens méditerranéens qui ont trouvé dans les revendications et les attentes formulées sur la côte opposée l’écho de leurs propres revendications et attentes insatisfaites.

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