7f33230446f86f380e992724_pa3695c.jpg Paul Lachine

L’Europe a-t-elle des pulsions suicidaires ?

BERLIN – Depuis le début de la crise de la dette grecque en 2010, les principaux acteurs européens auraient  dû comprendre les risques et conséquences qu’elle comportait pour l’Union européenne. Mais ce n’est certainement pas l’impression qu’ils donnent aux spectateurs.

Cette crise a toujours eu une dimension plus large que la Grèce même : une insolvabilité chaotique dans ce pays menace potentiellement d’entraîner d’autres économies de la périphérie sud de l’UE, dont des pays de premier plan, dans un abysse budgétaire, aux côtés des principales banques et compagnies d’assurance européennes. Cette évolution plongerait à son tour l’économie mondiale dans une nouvelle crise financière, avec des répercussions égales à celles de l’automne 2008. Elle incarnerait également un échec de la zone euro qui ne manquerait pas d’avoir de graves conséquences pour le marché commun.

Pour la première fois de son histoire, la poursuite même du projet européen est en péril. Malgré ce risque, le comportement de l’UE et de ses principaux États membres a été hésitant et pusillanime en raison d’égocentrismes nationaux et d’un manque flagrant de leadership.

Les États peuvent faire banqueroute comme les entreprises, mais contrairement à ces dernières, ils ne disparaissent pas quand cela se produit. Il est pour cette raison inutile de pénaliser les États et de sous-estimer leurs intérêts permanents. Les États insolvables ont besoin d’aide pour leur restructuration, à la fois du secteur financier et bien au-delà, de façon à trouver une issue à la crise.

Ce constat vaut tout particulièrement pour la Grèce, dont les problèmes structurels sont plus graves même que ses difficultés financières. Jusqu’à présent, l’UE et le gouvernement grec n’ont pas abordé la question des problèmes structurels. Ils doivent pourtant développer (et financer) une stratégie adéquate de reconstruction économique, pour faire comprendre aux Grecs – et à des marchés financiers nerveux – que la lumière au bout du tunnel.

Il est évident pour tous que la Grèce ne sortira pas de la crise sans un allégement massif de sa dette. La seule question qui compte vraiment est de savoir si la restructuration de la dette se fera de façon contrôlée et ordonnée ou de manière chaotique et contagieuse.

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Quoi qu’il en soit, le débat en cours en Allemagne sur le fait de payer ou non pour la dette grecque est risible. Refuser de payer n’est pas une option viable, parce que l’Allemagne et tous les autres membres de la zone euro sont dans le même bateau. Un défaut grec menace de les couler tous parce qu’il donnerait immédiatement lieu à des doutes sur la solvabilité des grandes banques et compagnies d’assurances européennes, reliées de manière systémique.

Qu’attendent donc les chefs d’État de la zone euro ? Hésitent-ils à dire la vérité à leurs électeurs par crainte de compromettre leur avenir politique ?

La crise financière européenne est en réalité une crise politique, parce que les dirigeants de l’UE sont incapables de prendre les mesures nécessaires. Un temps précieux est aujourd’hui perdu sur des questions d’ordre secondaire, essentiellement liées à des préoccupations politiques nationales.

Il est juste de dire, en principe, que les banques doivent participer au financement de la sortie de crise. Mais dans la pratique, il n’est pas très sensé d’insister sur ce point tant que les pertes encourues par les banques « trop grandes pour faire faillite » risquent de provoquer une nouvelle crise financière. Pour que cette option ait eu une chance de succès, il aurait fallu restructurer le secteur financier au début 2009, une occasion qui a pour l’essentiel été perdue.

Tant que la crise politique suicidaire de l’UE se poursuit, la crise financière continuera à déstabiliser la région. La certitude que l’euro – et l’Union européenne dans son ensemble – ne survivront pas sans une plus grande unification politique européenne est au cour de la solution à la crise.

Si les Européens veulent conserver l’euro, il est nécessaire de faire rapidement progresser l’union politique. A défaut, qu’on le veuille ou non, l’euro et l’intégration européenne se déliteront. L’Europe perdra alors pratiquement tous les acquis obtenus sur un demi siècle en ayant su transcender les nationalismes. A la lumière du nouvel ordre mondial émergent, cette conjoncture serait une tragédie pour les Européens.

Malheureusement, lorsque le président sortant de la Banque centrale européenne, Jean-Claude Trichet, a proposé un pas dans ce sens avec la création d’un « secrétaire au Trésor européen », les chefs d’État et de gouvernement ont d’emblée rejeté cette idée. Et au sein du Conseil européen, quasiment personne ne semble prêt à reconnaître l’ampleur de la crise qui secoue l’Union européenne.

Résoudre cette crise signifie plus d’Europe et d’intégration, pas moins. Et oui, les économies riches – avant tout l’Allemagne – devront financer cette sortie de crise.

La France et l’Allemagne, les deux acteurs les plus importants de cette crise, devront trouver une stratégie commune, parce qu’ils sont les seuls à pouvoir, conjointement, faire accepter une solution. Le problème est que le résultat du référendum de 2005 en France sur la constitution de l’UE a bloqué toute nouvelle intégration politique, tandis que la poursuite de l’intégration économique pourrait aujourd’hui échouer à cause de l’Allemagne.

Il est donc nécessaire que s’instaure un dialogue bilatéral ouvert franco-allemand sur un réalignement détaillé de l’union monétaire. Modifier les traités est impossible. Il faudra donc trouver d’autres voies, ce qui souligne l’importance de ce partenariat franco-allemand.

En dépit de la crise politique et de la paralysie de l’UE, les Européens ne doivent pas oublier à quel point son existence est importante aujourd’hui et continuera à l’être. Pour en comprendre la raison, il suffit de se remémorer la première moitié du XXe siècle.

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