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La solution à deux États au XXIe siècle

BERLIN – L’attaque terroriste perpétrée par le Hamas le 7 octobre a balayé les idées préconçues que bon nombre d’entre nous pouvaient avoir sur les conditions de la paix au Moyen-Orient et à travers le monde. Nous sommes encore sous le choc des horreurs de cette journée. En lançant son attaque, le Hamas a facilement contourné les barrières de sécurité de haute technologie d’Israël, sans rencontrer de résistance organisée. Ses militants sont parvenus à massacrer plus de 1 200 Israéliens (principalement des civils) ainsi qu’à enlever plus de 200 otages vers Gaza – tout en diffusant une grande partie du carnage sur les réseaux sociaux.

Comment cela a-t-il pu se produire ? On s’attendrait à ce qu’Israël, qui peut compter sur l’armée la plus puissante et les meilleurs services de renseignement du Moyen-Orient, contrôle toutes les activités terroristes et menaces des deux côtés de ses frontières. Le pays a pourtant été pris au dépourvu par un groupe opérant strictement depuis l’enclave isolée et étroitement surveillée de Gaza.

Les événements du 7 octobre ont fait voler en éclats nombreuses illusions. Observateurs extérieurs et protagonistes considéraient que le conflit de longue date entre Israël et les Palestiniens était insoluble, et par conséquent seulement gérable. Le nouvel espoir était qu’Israël puisse faire la paix et établir des relations diplomatiques avec les pays arabes voisins, sans résoudre ni même prêter attention à la question palestinienne. La paix au Moyen-Orient serait atteinte sans faire intervenir ni les Palestiniens, ni la création d’un État palestinien. Nous savons désormais qu’il s’agissait d’un objectif illusoire.

En 1947, alors que le mandat britannique pour la Palestine touchait à sa fin, l’Assemblée générale des Nations unies a adopté la Résolution 181, qui visait à partitionner le territoire en deux États – l’un juif, l’autre arabe. Seulement voilà, dès qu’Israël a déclaré son indépendance en 1948, cinq pays arabes voisins l’ont envahi, amorçant une guerre qui s’est poursuivie sous une forme ou une autre jusqu’à aujourd'hui.

Les options pour mettre fin au conflit ont très peu changé. En théorie, l’un des deux camps pourrait l’emporter en conquérant l’ensemble du territoire entre le fleuve Jourdain et la mer Méditerranée, et en expulsant le camp des vaincus. Une telle issue ne serait néanmoins jamais acceptée par la communauté internationale au XXIe siècle. La seule option réside par conséquent dans l’acceptation par les deux camps d’un compromis établissant deux États aux liens économiques étroits – comme l’envisageait déjà la majorité de l’ONU il y a trois quarts de siècle.

Depuis le 7 octobre, cette solution à deux États, presque oubliée, a ressurgi dans les débats sur la fin de l’actuelle guerre à Gaza et la résolution une bonne fois pour toutes du conflit perpétuel et systématiquement sanglant dans la région. Cet intérêt renouvelé constitue-t-il seulement une expression de désespoir face à un dilemme insurmontable, ou un engagement sérieux à poursuivre la seule solution possible – bien qu’extrêmement difficile ?

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La dernière fois que la solution a deux États a été sérieusement envisagée, c’était immédiatement après les accords d’Oslo, au début des années 1990, lorsque beaucoup pensaient qu’elle était à portée de main. Cette possibilité a toutefois été brusquement anéantie par l’assassinat du Premier ministre israélien Yitzhak Rabin par un nationaliste israélien d’extrême droite en 1995. Même si une tentative a eu lieu pour sauver la feuille de route d’Oslo, seule une ombre en est restée. Après que le président de l’Organisation de libération de la Palestine, Yasser Arafat, ait commis l’erreur historique de croire qu’il pouvait mettre Israël à genoux en menant une campagne de terreur – la seconde intifada – le processus n’était plus possible.

Depuis, le processus d’Oslo demeure un rappel tragique de ce qui aurait pu être accompli. La solution qu’il proposait autrefois semble aujourd'hui plus lointaine que jamais. Sous le poids de la terreur et de l’occupation, et poussés par des factions extrêmes au sein de leurs propres rangs, les deux camps ont de plus en plus évolué vers la violence et la confrontation, ce qui a abouti à l’effroyable massacre de civils israéliens le 7 octobre.

Comment une solution à deux États pourrait-elle fonctionner aujourd'hui ? Il faudrait tout d’abord que chaque camp accepte les revendications légitimes de l’autre. On ne peut pas demander à Israël de faire des compromis sur sa sécurité, et on ne peut pas s’attendre à ce que les Palestiniens renoncent à un État indépendant aux frontières sécurisées, ou qu’ils acceptent que les colons israéliens s’approprient des terres en Cisjordanie.

Une fois la guerre à Gaza terminée, les tâches les plus urgentes consisteront à élaborer les nouveaux paramètres d’un processus de paix revitalisé, à réformer l’autorité nationale palestinienne dysfonctionnelle, ainsi qu’à remanier le pouvoir en Israël. Si le gouvernement d’extrême droite du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou reste en place, tout effort de relance du processus de paix sera dès le départ voué à l’échec.

Un processus de paix renouvelé nécessitera par ailleurs une importante assistance militaire, politique et financière de la part d’une entité extérieure crédible. La région et le monde ayant toutefois radicalement changé depuis l’époque d’Oslo, l’Occident (États-Unis et Union européenne) ne peut plus assumer seul cette tâche. La Chine devra également être impliquée. Sans cette constellation élargie de médiateurs, il ne sera pas possible de neutraliser le réseau régional iranien de « refuseurs » radicaux et terroristes.

Ce n’est qu’avec de nouvelles idées, de nouveaux acteurs, une volonté mutuelle de compromis pacifique, et une nouvelle « partie externe » consciente des réalités géopolitiques actuelles, que le rêve de paix au Moyen-Orient aura une nouvelle chance de se réaliser. Comme l’a démontré l’attaque du 7 octobre, le statu quo au Moyen-Orient est aussi dangereux qu’insoutenable. Le conflit pourrait encore dégénérer à tout moment, avec des conséquences terribles pour le monde entier. La paix entre Israël et les Palestiniens n’est pas seulement une noble vision diplomatique. Pour la paix et la stabilité du monde au XXIe siècle, elle est une nécessité politique concrète.

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