ischolz1_ TIMOTHY A. CLARYAFP via Getty Images_sdg TIMOTHY A. CLARY/AFP via Getty Images

La transformation durable a besoin d'un nouveau narratif

BERLIN – En 2015, les 193 États membres des Nations Unies se sont engagés à atteindre d’ici 2030 les 17 Objectifs de développement durable (ODD) – un vaste programme visant à mettre fin à la pauvreté, à protéger la planète, ainsi qu’à promouvoir le bien-être pour tous. Huit ans plus tard, le Rapport mondial 2023 sur le développement durable (RMDD) des Nations Unies met en garde sur un constat : le monde est encore loin d’avoir atteint ces objectifs. La pauvreté et la faim s’accentuent, les émissions de gaz à effet de serre continuent d’augmenter, et il faudra au rythme actuel pas moins de 300 ans pour parvenir à l’égalité des sexes.

L’impact social et économique dévastateur de la pandémie de COVID-19 nous a certes déviés de notre cap, tout comme la guerre en Ukraine. Pour autant, l’action transformatrice nécessaire pour atteindre les ODD a elle aussi fait défaut. Comme le démontre le RMDD, les étapes progressives et les interventions ciblées ne suffiront pas. Nous avons davantage besoin de réformes radicales, qui permettent de poursuivre simultanément plusieurs ODD.

D’après le RMDD, la transformation durable est un processus dans lequel de nouvelles technologies, infrastructures et approches décisionnelles remplacent les anciennes, remédiant aux effets négatifs des versions existantes, et produisant de meilleurs résultats. Ce changement se heurte généralement à une résistance, dans la mesure où il représente un coût : les entreprises doivent trouver de nouveaux modèles économiques et marchés, de même que les travailleurs sont contraints de se requalifier puis de trouver de nouveaux emplois. Il est nécessaire que les dirigeants politiques anticipent et planifient ces perspectives.

Parmi ces innovations figure l’énergie renouvelable. Seulement voilà, dans la plupart des États, les énergies renouvelables viennent compléter plutôt que remplacer les combustibles fossiles. Or, un changement complet est nécessaire pour atteindre zéro émission nette de GES, objectif auquel l’Union européenne entend parvenir d’ici 2050. Outre le déploiement à grande échelle des énergies renouvelables et des technologies propres telles que les véhicules électriques, il sera crucial d’augmenter les investissements dans l’infrastructure énergétique, en particulier en Afrique, ainsi que d’améliorer l’efficience énergétique. Les innovations sociales qui placent l’accent sur l’approvisionnement collectif ainsi que l’utilisation commune des espaces et de la mobilité peuvent également contribuer à réduire la consommation d’énergie.

Une certain nombre de changements radicaux sont également nécessaires pour éradiquer la faim et stopper la perte de biodiversité. Les populations des pays riches doivent considérablement réduire leur consommation de viande, adopter des régimes à base de produits végétaux, et réduire de moitié le gaspillage alimentaire. Au niveau mondial, l’agriculture doit adopter des systèmes de production multifonctionnels et à faible impact, qui préservent la terre, l’eau ainsi que la biodiversité, et l’utilisation de polluants persistants tels que les métaux lourds et les plastiques doit être significativement réduite pour garantir un environnement sain.

Afin de promouvoir le bien-être humain et l’inclusion, il nécessaire que les dirigeants politiques poursuivent sans relâche les objectifs d’égalité des sexes, ce qui impose de renforcer le statut juridique et l’autonomie économique des femmes. Par ailleurs, l’introduction d’une taxe carbone dans les pays à émissions élevées pourrait générer des revenus à destination d’un fonds mondial de protection sociale, que les pays à revenu faible pourraient utiliser pour améliorer l’éducation et les services de santé. Cela contribuerait grandement à réduire la pauvreté.

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Accomplir une transformation de cette ampleur ne sera pas facile. C’est ici que la puissance du narratif entre en jeu : il faut convaincre les populations que ces changements constituent le meilleur moyen de bâtir un avenir viable, et que notre trajectoire actuelle ne mène qu’à des résultats catastrophiques menaçant l’existence humaine.

Pour changer de discours, les décideurs vont devoir apprendre à renforcer ainsi qu’à maintenir un soutien politique et social généralisé en faveur d’une rupture majeure. Cela signifie placer davantage l’accent sur l’objectif commun que sur le conflit partisan, élaborer des stratégies à long terme propices à une transformation verte et juste, et se montrer proactifs pour identifier et résoudre les conflits liés à la répartition des coûts. Cela signifie également travailler avec la société civile, le secteur privé et les syndicats, pour identifier les difficultés de mise en œuvre et ajuster les politiques en conséquence. Le développement de partenariats permettant un apprentissage mutuel ainsi qu’un échange au sein des régions et entre elles peut contribuer à renforcer cette capacité.

Les processus démocratiques sont fondamentaux pour concevoir des politiques qui répartissent équitablement les coûts de la transformation. L’ampleur du changement nécessaire est toutefois si considérable que quiconque susceptible de voir son activité ou ses moyens de subsistance impactés résistera à la réforme. Dans les sociétés aux niveaux élevés d’inégalités de revenus et de richesse en particulier, les citoyens seront plus enclins à se considérer défavorisés lors d’un changement de paradigme.

C’est pourquoi les dirigeants politiques doivent inscrire l’équité et la justice au cœur de cette transformation, et s’engager en faveur de la transparence ainsi que de la responsabilité dans la détermination de la manière dont les coûts devront être partagés entre les différentes catégories de revenus et générations. Un suivi des progrès sur la voie des objectifs convenus permettrait notamment au public d’imposer à l’État qu’il rende des comptes, ce qui renforcerait la primauté du droit et la confiance dans les institutions.

Autant la réalisation des ODD dépendra du consensus démocratique, autant la poursuite de ces réformes radicales mais nécessaires pourrait renforcer à son tour la démocratie.

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