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La politique américaine et le sacré

NEW YORK – Charles Carroll de Carrollton, délégué du Maryland, fut le seul catholique qui signa la Déclaration d’indépendance en 1776. Quoiqu’il fût l’un des Pères fondateurs, Carroll, étant catholique, n’était autorisé à aucune charge officielle. Les choses changèrent quelques années plus tard, avec la Déclaration des droits, dont le premier article dispose que « le Congrès ne fera aucune loi qui touche à l’établissement ou interdise le libre exercice d’une religion » ; l’affiliation religieuse cessa d’être un critère pour l’admission à une fonction publique.

Tous n’apprécièrent pas cette séparation de l’Église et de l’État. Thomas Jefferson subit des attaques où il était traité d’infidèle dangereux, et les fanatiques pensaient que la religion mourrait en Amérique s’il était élu à la présidence. Aujourd’hui, beaucoup de gens voudraient réinstaller la religion au centre de la vie publique et politique. C’est sans doute ce que veut dire William Barr, le ministre de la Justice, un catholique profondément conservateur, lorsqu’il dénonce les défenseurs de la laïcité et leurs « attaques contre la religion et les valeurs traditionnelles ». 

Le préjugé qui veut que les catholiques soient des ennemis de la liberté mais aussi des traîtres potentiels (en raison de leur allégeance spirituelle à Rome) eut aussi la vie dure. En 1821, John Adams se demandait si le « libre gouvernement [pouvait] coexister avec la religion catholique ». La liberté et la démocratie anglo-américaines furent traditionnellement associées au rude individualisme protestant ; on considérait les catholiques comme les esclaves réactionnaires de la hiérarchie ecclésiastique. Les protestants étaient rationnels, industrieux, s’attachaient à tirer le meilleur d’eux-mêmes (matériellement, tout autant que spirituellement) ; quant aux catholiques, arriérés, il n’était pas rare qu’ils tombent dans la paresse.

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