5304140446f86f880b26d404_pa4116c.jpg Paul Lachine

Cette dette qui nous fait tant frémir

NEW HAVEN - On pourrait penser que la crise des dettes souveraines de l’Europe et l’inquiétude grandissante concernant la situation de la dette américaine ne sauraient nécessairement entraîner l’ébranlement de toute confiance en l’économie. C’est pourtant ce qui semble se produire. Et cette perte de confiance, en décourageant la consommation et l’investissement, peut parfois être une prophétie qui s’autoalimente, entraînant cette fragilité économique qui nous cause tant d’inquiétude. Les chutes significatives des indices de la confiance des consommateurs d’Europe et d’Amérique du Nord reflètent d’ores et déjà cette dynamique perverse.

Nous disposons aujourd’hui d’un indice journalier concernant les États-Unis, l’index de confiance économique Gallup, qui nous permet désormais de mesurer les fluctuations de confiance dans le temps. L’indice Gallup a chuté brutalement entre la première semaine de juillet et la première semaine d’août - période durant laquelle les dirigeants politiques américains ont inquiété le plus grand nombre en déclarant qu’ils ne seraient ni en mesure de lever le plafond du gouvernement fédéral relatif à la dette, ni d’empêcher les États-Unis d’être en défaut de paiement au 2 août. Les médias d’information n’ont eu de cesse de relayer chaque jour la nouvelle. Le 2 août est arrivé, sans aucune défaillance, mais trois jours plus tard, un vendredi, le Standard & Poor’s a abaissé la note relative à la dette à long terme des États-Unis de AAA vers AA+. Le lundi suivant, le S&P 500 a chuté de presque 7%.

Apparemment, le spectre d’une impasse pour le gouvernement ayant entraîné une défaillance humiliante a fait soudainement ressembler les États-Unis à des pays d’Europe réellement au bord du gouffre. L’intrigue européenne est devenue un l’intrigue de l’Amérique.

Les changements dans la confiance de l’opinion publique se sont construits sur ces intrigues, car l’esprit humain y est très réceptif, et en particulier aux histoires qui touchent à l’humain. C’est précisément dans un écho de ce genre qu’a résonné l’histoire d’une possible défaillance des États-Unis, impliquant avec elle sens de la fierté américaine, fragilité de la domination sur le monde et agitation politique.

On assiste sans doute en effet à une histoire encore plus captivante que ne l’a été en 2008, événement le plus intense de la crise financière, la chute de Lehman Brothers. La chute de l’indice de confiance Gallup a été plus importante en juillet 2011 qu’elle ne l’avait été en 2008, bien que l’indice n’ait pour l’instant pas chuté en dessous du niveau tristement atteint à l’époque.

La majorité des indices de confiance se base aujourd’hui sur des questionnaires de sondage qui sollicitent l’avis des personnes interrogées sur le niveau de l’économie actuelle, ou de celle d’un avenir proche. George Gallup, pionnier des méthodes de sondage et créateur du sondage Gallup, créa en 1938 un indice de confiance, pendant les dernières années de la Grande Dépression, dans laquelle il demandait aux Américains : « Dans six mois, pensez-vous que l’économie se portera mieux ou plus mal qu’aujourd’hui ? » Il affirma en conclusion que les résultats constituaient en quelque sorte une mesure de l’ « optimisme public » et de cette « tendance insaisissable des mentalités, reconnue comme l’un des éléments essentiels des fluctuations hebdomadaires de l’activité économique. »

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Il est toutefois peu probable que les grands changements dans la confiance du public (le genre de confiance qui influence sa propension à dépenser ou à investir) trouvent leurs racines dans des prévisions à si court terme.

À l’époque des travaux de Gallup, presque neuf ans après le début de la Grande Dépression, il régnait partout un sentiment de futilité ultime, une conviction selon laquelle le chômage ne prendrait jamais fin. Ce sentiment explique certainement davantage la baisse de la consommation et de l’investissement que n’importe laquelle des prévisions de changement à six mois. Après tout, la propension des consommateurs à acheter dépend de leur situation générale, et non de la question de savoir si l’économie se portera un peu mieux dans un avenir à court terme.

L’indice de confiance des consommateurs américains, créé par George Katona de l’Université du Michigan au début des années 1950, et connu aujourd’hui sous le nom de sondage de Thomson-Reuters/Université du Michigan, pose une excellente question dans un futur à long terme, à savoir cinq ans et plus, soulevant une interrogation sur les peurs viscérales qui régnaient à cette période :

« En regardant vers l’avenir, qu’est-ce qui vous paraît le plus probable : que le pays tout entier connaisse de façon stable une certaine prospérité dans les cinq ans environ, ou que nous vivions des périodes de chômage massif ou de dépression, ou quoi d’autre encore ? » 

Cette question est rarement portée à notre attention, bien qu’elle mette portant en lumière ce que nous cherchons à déterminer : Quelles sont les angoisses et les craintes profondes que renferment les gens, et qui inhibent dans la durée leur propension à dépenser. Des réponses à cette question pourraient nous permettre de prévoir les perspectives futures avec bien plus de précision.

Ces réponses ont été plongées au cour de la dépression entre juillet et août, et l’indice d’optimisme basé sur les réponses à cette question est à son niveau le plus bas depuis la « grande récession » entraînée par la crise pétrolière, au début des années 1980. Il a atteint son plus haut niveau de 135 en l’an 2000, au plus haut de la bulle boursière du millénaire. En mai 2011, il est tombé à 88. À peine quatre mois plus tard, en septembre, il a encore chuté à 48.

Il s’agit là d’un ralentissement bien plus grave que celui enregistré par l’ensemble des indices de confiance des consommateurs. Ce déclin a été observé pendant la plus grande partie de la décennie, tandis que nous avons commencé à voir la fin d’une expansion menée sur la dette, et s’est accélérée avec la dernière crise financière.

Le timing et la substance de ces résultats de sondages consommateur suggèrent que notre point de vue fondamental sur l’économie, au niveau de monsieur tout-le-monde, est étroitement lié à des histoires d’emprunt excessif, de perte de toute responsabilité gouvernementale et personnelle, ainsi qu’au sentiment que les choses échappent à tout contrôle. Il se pourrait bien que cette perte de confiance dure des années.

Cela dit, l’analyse de notre point de vue sur l’économie ne saurait se baser entièrement sur les modèles statistiques classiques, car on oublierait alors un aspect que l’on ne retrouve dans aucun de ces modèles : notre tendance à remplacer une première histoire - actuellement le récit d’une dette incontrôlable - par une intrigue plus inspirante.

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