L’opposition entre santé publique et liberté individuelle ?

PRINCETON – Ce dernier mois a vu l’annonce de verdicts contradictoires. Une cour d’appel des États-Unis a annulé les exigences de la US Food and Drug Administration relatives à la mise en garde des dangers de la cigarette par l’ajout d’une illustration sur les paquets vendus. L’Australie, de son côté, a vu l’un de ses plus hauts tribunaux maintenir la loi qui a pourtant une portée encore plus grande. Non seulement la loi australienne requiert des mises en garde sur les dangers de la cigarette pour la santé, le tout accompagné d’images des dommages corporels provoqués par la tabagie, mais les paquets doivent être d’apparence neutre, le nom de la marque en petits caractères génériques, sans logos et sans autre couleur qu’un brun olive peu invitant.

Le verdict aux États-Unis s’appuie sur la protection de la liberté d’expression assurée par la constitution américaine. Le tribunal a confirmé que le gouvernement peut exiger des mises en garde précises des dangers pour la santé, mais la majorité des juges, dans un verdict partagé, a émis l’opinion qu’il ne pouvait toutefois rendre obligatoire des images d’effets sur la santé de la cigarette. En Australie, la question juridique consistait à déterminer si cette loi constituait une expropriation sans compensation ; c.-à-d. dans le cas qui nous intéresse ici, la propriété intellectuelle liée aux marques de commerce des sociétés de tabac. La cour supérieure a décidé que ce n’était pas le cas.

Une question plus large sous-tend cependant ces divergences : qui doit décider du juste équilibre entre la santé publique et la liberté d’expression ? Aux États-Unis, ce sont les tribunaux qui sont habilités à rendre ce verdict, essentiellement en interprétant un document vieux de 225 ans. Et tant pis si le gouvernement est privé de certaines mesures pouvant réduire la mortalité due au tabac, estimé aujourd’hui à 443 000 Américains par année. En Australie, où la liberté d’expression ne bénéficie pas d’une protection constitutionnelle explicite, les tribunaux sont plus enclins à respecter le droit des gouvernements démocratiquement élus de maintenir un juste équilibre.

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