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Trump ou la puissance d'une cause perdue

NEW HAVEN (CONN.) – Le 6 janvier 2021, à Washington, Donald Trump, président des États-Unis, qui venaient d’échouer quelques semaines plus tôt à sa réélection, s’adressait, comme on sait, à ses partisans rassemblés, qui allaient bientôt former l’émeute lancée contre le Capitole. Pour décousu et incohérent qu’il fût, le discours de Trump établissait clairement un certain nombre de choses : la gauche avait conspiré pour voler l’élection par la fraude et les foules convoquées pour soutenir le président perdant devaient « tenir ferme ». On pouvait en tirer comme conclusion que la violence était nécessaire, car « on ne reprend pas son pays par la faiblesse ».

Trump désigna alors au mépris général le vice-président Mike Pence, qui avait refusé de renvoyer les grands électeurs devant les États pour être à nouveau certifiés [et remplacés le cas échéant]. Que des « républicains faibles » refusent de faire ce pas et de renverser les résultats, et, Trump le jure, « nous ne les oublierons jamais, au grand jamais ». Durant les quelque quatre ou cinq heures que dure encore l’événement, le plus documenté et suivi de toute l’histoire américaine, le monde assiste à la naissance d’une « cause perdue », dans la violence et le mensonge – spectaculaire.

L’histoire moderne a connu maintes causes perdues, accompagnant généralement une défaite sur le champ de bataille, glorifiée par les vaincus, qui en font une source de fierté et d’animosité à l’égard des vainqueurs. Trois grandes causes perdues ont secoué l’histoire mondiale et américaine. Après leur défaite sanglante lors de la guerre de 1870-1871 contre la Prusse, les Français ont développé un besoin culturel intergénérationnel de revanche. Puis, après la défaite allemande de la Première Guerre mondiale, les nazis ont conquis des adeptes en dénonçant les juifs et la gauche, qualifiés de « poisons » dans le sang du corps politique. Il y eut enfin, bien sûr, le Sud américain après la guerre de Sécession, quand le récit de la cause perdue des Confédérés servit de puissant ferment à une histoire biaisée et à l’idéologie suprémaciste blanche.

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