malik7_Rebecca ConwayGetty Images_pakistan election Rebecca Conway/Getty Images

La fureur de la classe moyenne pakistanaise contre le régime militaire

OXFORD – Les élections législatives du 8 février au Pakistan, entachées d'allégations d'irrégularités de vote dans tout le pays, ont abouti à un parlement sans majorité et à la formation d'un gouvernement de coalition composé des deux principaux partis dynastiques du pays. Néanmoins, le résultat représente une défaite stupéfiante pour la puissante armée du pays, les candidats soutenus par le Parti Tehreek-e-Insaf (PTI) de l'ancien Premier ministre Imran Khan incarcéré, qui a obtenu plus de sièges parlementaires que tout autre bloc politique malgré une répression de deux ans contre ses électeurs et ses partisans.

Bien que le PTI n'ait pas remporté suffisamment de sièges pour former un gouvernement à lui seul, ses résultats étonnamment élevés – alors même que le parti a été officiellement interdit de participer aux élections – souligne l'attrait populaire exercé par Khan. À l'approche du vote, les membres et partisans du PTI ont été emprisonnés, harcelés et leurs entreprises ont été détruites. Le jour même des élections les services de téléphonie mobile ont été désactivés dans un effort ultime de perturber les efforts de participation. Mais malgré ces obstacles, les électeurs pakistanais ont porté un coup historique à l'armée, dont l'ingérence politique a rencontré peu de résistance au cours des trois dernières décennies.

Plus qu'une compétition entre partis politiques, les élections pakistanaises ont représenté une confrontation entre ceux qui s'opposent à l'ingérence politique de plus en plus flagrante de l'armée et ceux qui collaborent avec elle pour en tirer des avantages personnels et professionnels. Mais le résultat soulève une question importante : pourquoi le régime rencontre-t-il à présent une opposition aussi répandue, en particulier dans des régions longtemps considérées comme des bastions de soutien à l'armée ?

Certes, les bons résultats du PTI peuvent être attribués en partie à l'attrait populaire de Khan en tant que plus grand joueur de cricket du Pakistan et à sa décision de contester l'autorité militaire. Cette défiance a conduit à son arrestation et à sa condamnation ultérieure pour corruption, pour laquelle il purge une peine de dix ans de prison. Mais cela représente également une colère généralisée au sein de la classe moyenne du pays, dont le poids économique et politique n'a cessé de décliner, malgré sa croissance rapide au cours des 20 dernières années.

Selon l'économiste Durr-e-Nayab, environ 40 % de la population pakistanaise pourrait être attribuée à la classe moyenne - un groupe qui a représenté la majeure partie de la croissance des revenus du pays au cours des dernières décennies, en s'étendant des centres urbains vers zones rurales, où la demande de biens de la classe moyenne comme les motos et les téléviseurs a augmenté. Dans le même temps, le nombre d'écoles privées a considérablement augmenté, en passant de 3 000 en 1982 à 70 000 en 2015. Plus de 34 % des enfants pakistanais en âge d'être scolarisés fréquentent actuellement ces écoles, dont un grand nombre proviennent de ménages à revenu intermédiaire de la tranche inférieure.

Le Pakistan a également connu un boom de l'enseignement supérieur au cours des deux dernières décennies, avec des universités qui poussent comme des champignons même dans des zones reculées, aidées par le soutien de la Commission de l'enseignement supérieur du pays. Bien que la qualité de l'éducation offerte par ces établissements soit discutable, la hausse des inscriptions a donné naissance à ce que l'on peut qualifier de classe moyenne « aspirante ». Malgré leur manque de revenus stables, ces ménages partagent les mêmes rêves et les mêmes ambitions que leurs homologues de la classe moyenne.

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Malheureusement, le modèle de croissance qui soutient la classe moyenne pakistanaise s'est construit sur des bases fragiles. L'économie du pays repose sur des ressources empruntées, qui dépendent fortement du soutien financier régulier du Fonds monétaire international et de ses principaux alliés étrangers, tels que les pays du Golfe riches en pétrole et la Chine.

En outre, l'économie pakistanaise profite principalement aux élites du pays, qui extraient des ressources par le biais de subventions, d'exonérations fiscales et de diverses autres politiques. Le recouvrement des impôts est inefficace et régressif, ce qui impose une charge disproportionnée aux couches les plus pauvres et les plus productives de la population. Pendant ce temps, la croissance du secteur manufacturier à grande échelle stagne et les exportations sont passées de 15 % du PIB en 2003 à 11  % du PIB en 2022.

L'éviction de Khan par un vote de défiance militaire en avril 2022 a exacerbé la situation économique déjà précaire du Pakistan, en ouvrant la voie à une longue période de troubles économiques et politiques. La Banque mondiale estime que le PIB réel s'est contracté de 0,6 % en 2023 alors que l'économie était aux prises avec une inflation galopante et avec l'impact dévastateur des inondations de 2022.

Alors que l'économie stagne et que l'inflation tourne autour de 30 %, une récente enquête Gallup a révélé que le pessimisme public est à son plus haut niveau depuis 18 ans. Avec environ 70 % des personnes interrogées déclarant que leur situation économique s'est détériorée, l'insatisfaction économique généralisée a contribué à alimenter la réaction électorale contre le régime militaire.

La classe moyenne pakistanaise est aux prises non seulement avec des perspectives économiques en baisse, mais également avec la répression politique. Autrefois écartés comme une « classe de bavards » qui préférait regarder des feuilletons télévisés plutôt que de se rendre aux urnes, les Pakistanais de la classe moyenne sont davantage engagés politiquement et forment à présent l'épine dorsale de la base du PTI. Alors que l'armée intensifiait sa répression contre les partisans de la classe moyenne de Khan – dont un grand nombre sont des femmes – l'opposition est devenue plus déterminée, en grande partie grâce à l'enthousiasme de la jeunesse pakistanaise férue de technologie.

À bien des égards, il s'agissait de la première élection numérique au Pakistan. Les deux tiers de la population a moins de 30 ans, constituant la « plus grande génération de jeunes » de l'histoire du pays, selon le Programme des Nations Unies pour le développement. Confronté à une cohorte massive et majoritairement peu enthousiaste de nouveaux électeurs, ainsi qu'à 73 millions d'utilisateurs actifs des médias sociaux, le régime éprouve de plus en plus de difficultés à façonner l'opinion publique.

Avec la répression officielle qui augmente le coût de l'action collective, les médias sociaux sont devenus un outil puissant pour mobiliser les électeurs. À la suite d'une décision controversée de la Cour suprême qui interdisait au parti de Khan d'utiliser son symbole traditionnel de la batte de cricket, les partisans ont afflué sur les médias sociaux pour diffuser des informations sur les nouveaux symboles attribués aux candidats soutenus par le PTI.

En outre, dans un pays où la politique rurale tourne historiquement autour des réseaux de parenté et des systèmes de favoritisme, les médias sociaux ont permis aux questions nationales de prendre le pas sur les préoccupations locales. La notion de longue date selon laquelle les courtiers de vote ruraux pourraient obtenir le soutien de clans entiers devient obsolète. De même, le vote unifié des ménages s'est désintégré, les membres de la famille votant désormais selon leurs propres préférences politiques. Globalement, ces changements entravent gravement la capacité de l'armée à contrôler la politique par l'intermédiaire de notables locaux.

Mais si les résultats offrent une lueur d'espoir, le paysage post-électoral du Pakistan est marqué par une combinaison instable de ressources en baisse, d'un nombre croissant de parties prenantes et d'une élite autoritaire qui refuse de faire des concessions. Les efforts du gouvernement visant à maintenir le statu quo par la répression ont entraîné une perte historique de légitimité et de confiance dans les institutions de l'État. Le vide institutionnel qui en résulte laisse sans réponse les griefs de la classe moyenne, ce qui constitue une grave menace pour la stabilité du Pakistan. En l'absence de voies institutionnelles pour résoudre les différends politiques, les conflits doivent nécessairement être réglés par la violence.

Les partenaires étrangers du Pakistan doivent user de leur influence pour empêcher une instabilité accrue. Dans deux mois, le Pakistan devra à nouveau se tourner vers le FMI et les bailleurs de fonds extérieurs. Ceux qui contrôlent le financement devraient faire pression sur l'armée pour relâcher son emprise économique et politique sur le pays. Il est temps de responsabiliser ceux qui peuvent assurer la croissance et la stabilité dont le Pakistan a besoin de toute urgence.

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