benami212_Elyxandro CegarraNurPhoto via Getty Images_eumilitary Elyxandro Cegarra/NurPhoto via Getty Images

Bruits de guerre en Europe

TEL AVIV – On attribue souvent à Mark Twain la citation suivante : « L'histoire ne se répète pas, mais elle rime souvent ». Il aurait pu ajouter que dans les cas où l'histoire rime bel et bien, le pire s'ensuit.

De même que les ambitions territoriales des Forces de l'Axe – l'Allemagne, l'Italie et le Japon – ont ouvert la voie à la Seconde Guerre mondiale, l'actuel bloc autoritaire de la Chine, de la Russie, de l'Iran et de la Corée du Nord cherche à démanteler l'ordre multilatéral progressiste. Aujourd'hui comme hier, divers conflits dans le monde pourraient dégénérer en une guerre mondiale si les alliances militaires étaient automatiquement activées en réponse aux actions hostiles des adversaires.

Prenons par exemple la possibilité très réelle que l'ancien Président américain Donald Trump revienne à la Maison-Blanche en 2025. Compte tenu de son mépris envers la sécurité de l'Europe, il est clair que les pays européens - qui comptent sur les États-Unis pour leur sécurité depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale - ont de quoi se faire du souci.

Mais Trump n'est pas le fin mot de cette histoire. Compte tenu de l'influence croissante de la Chine et du rééquilibrage ultérieur des priorités stratégiques américaines, même un second mandat de Joe Biden pourrait conduire à un engagement américain réduit envers l'OTAN en faveur de l'AUKUS, l'alliance militaire qu'il a créée avec l'Australie et la Grande-Bretagne pour faire face à la menace chinoise dans l'Indo-Pacifique. Le désintérêt croissant de l'Amérique vis à vis de l'Ukraine souligne ce changement d'orientation, qui laisse l'Europe livrée à elle-même pour combler le vide sécuritaire qui en résulte.

Par conséquent, la crainte d'une guerre imminente se saisit des capitales européennes. Le Premier ministre polonais Donald Tusk a déclaré dernièrement que l'Europe était entrée dans une « ère d'avant-guerre », alors que la Présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyena averti qu'une guerre terrestre sur le continent « n'est peut-être pas imminente, mais n'est pas impossible. » Entre temps, le Président français Emmanuel Macron n'a pas exclu la possibilité d'envoyer des troupes en Ukraine et le Chef d'État-major général du Royaume-Uni, le Général Patrick Sanders, a appelé à une « mobilisation nationale » et a déclaré que les citoyens britanniques devaient être prêts à combattre la Russie.  

Alors que la Russie représente une menace lointaine pour des pays comme l'Espagne et l'Italie, la plupart des États membres de l'UE craignent que le président russe Vladimir Poutine ne soit à leur porte, en mettant en exergue le manque d'autonomie stratégique de l'Europe. McKinsey estime que les pays européens ont économisé 8,6 mille milliards de dollars au cours des dernières décennies, par rapport aux dépenses de défense moyennes de 1960 à 1992, en réduisant leurs forces armées. Principalement déployées dans des missions humanitaires et de maintien de la paix, les forces militaires européennes ont été décrites par les termes « armées bonsaïs » – des versions miniatures des véritables armées, à l'expérience de combat limitée.

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En outre, étant donné que le secteur de la défense européenne est loin derrière celui de la Russie, et plus encore derrière celui des États-Unis, il faudra probablement des années pour renforcer les capacités militaires de l'Europe. Fait révélateur, l'ensemble du stock de munitions de la Bundeswehr allemande (forces armées allemandes) ne durerait que deux jours au combat contre un adversaire comme la Russie.

Alors que la Russie n'est pas aussi forte qu'elle a pu l'être, l'Europe a de bonnes raisons de s'inquiéter. La détermination de Poutine à inverser l'issue de la Guerre froide a dégénéré en une obsession quasi religieuse de restaurer la puissance impériale russe. Sa guerre d'agression en Géorgie en 2008, l'annexion de la Crimée en 2014 et l'invasion à grande échelle de l'Ukraine en 2022 illustrent son ambition implacable. Sous Poutine, les navires et les avions espions russes surveillent régulièrement les frontières de pays comme la Suède, la Finlande, les États baltes et même le Royaume-Uni.

L'agression de Poutine a forcé l'Europe à abandonner sa mentalité post-historique et à prendre le réarmement au sérieux. Les dépenses militaires des États membres de l'Union européenne ont atteint un record de 240 milliards d'euros (260 milliards de dollars) en 2022, soit une augmentation de 6 % par rapport à l'année précédente, McKinsey prévoyant que les dépenses annuelles de défense de l'Europe pourraient atteindre 500 milliards d'euros d'ici 2028.

Du fait de la dégradation organisationnelle et matérielle subie pendant deux années de combats intenses en Ukraine par l'armée russe d'une part, ainsi que du fait du risque qu'une mobilisation à grande échelle pour la guerre avec l'OTAN puisse déstabiliser son régime d'autre part, Poutine sera probablement dissuadé d'entreprendre d'autres campagnes militaires dans un proche avenir. Si les gains de la Russie en Ukraine se limitent à ses lignes défensives actuelles sans victoire décisive – un résultat qui dépend du soutien occidental à l'Ukraine – l'appétit de Poutine pour de nouvelles aventures dans les pays baltes serait sévèrement diminué. Néanmoins, cela ne l'empêchera pas d'essayer de déstabiliser la Moldavie, la Géorgie, le Caucase du Sud, les Balkans occidentaux et même la France et le Royaume-Uni, ni de limiter les opérations de ses forces militaires privées en Afrique.

Mais les menaces nucléaires de Poutine reflètent l'incapacité de la Russie à rivaliser avec l'OTAN dans une course aux armements conventionnels du genre de celle qui a paralysé l'Union soviétique dans les années 1980. Même si les pays européens dépensent toujours moins pour la défense que l'objectif de 2 % du PIB de l'OTAN, la Russie ne peut pas égaler le budget de défense combiné des États membres de l'OTAN, même sans les États-Unis.

Mais si l'augmentation des dépenses militaires pourrait empêcher la Russie d'attaquer les pays européens, des budgets de défense plus importants à eux seuls ne résoudront pas les problèmes stratégiques du continent. Pour se défendre, l'Europe doit également améliorer l'intégration et l'interopérabilité de ses différentes cultures militaires et de ses systèmes d'armes. Étant donné qu'il s'agira d'un processus prolongé, la proposition de von der Leyen visant à créer un poste de Commissaire européen à la défense est un pas dans la bonne direction.

L'Europe doit également réduire sa dépendance au parapluie nucléaire américain. L'établissement d'une force de dissuasion nucléaire européenne indépendante, que seuls la France et le Royaume-Uni peuvent fournir, est indispensable pour contrer l'agression de Poutine. Sans une telle dissuasion, selon les termes récents de The Economist, la même logique qui a conduit la France à développer sa force de frappe militaire et nucléaire – l'idée que l'Amérique ne sacrifierait pas New York pour Paris – pourrait désormais s'étendre au reste de l'Europe : la France serait-elle prête à risquer Toulouse pour Tallinn ?

Cela dit, même si l'Europe doit améliorer ses capacités de dissuasion, il serait imprudent de supposer que les dirigeants prennent nécessairement des décisions rationnelles. Dans son ouvrage de 1984 The March of Folly, l'historienne Barbara Tuchman observe que les dirigeants politiques agissent fréquemment contre leurs propres intérêts. Les guerres désastreuses des États-Unis au Moyen-Orient, la campagne malheureuse de l'Union soviétique en Afghanistan et la guerre permanente de haine aveugle entre Israël et le Hamas à Gaza, avec son potentiel de dégénérer en conflit régional plus vaste, sont de bons exemples de tels faux pas. Comme le fait remarquer Tuchman, la marche de la folie n'a pas de fin. C'est précisément pour cette raison que l'Europe doit se préparer à une ère de vigilance accrue.

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