Culpabilité et honte à la prison d'Abou Ghraib George P. Fletcher

Lorsqu'un gouvernement perd son autorité morale, si par exemple sa police recueille des preuves par des moyens contraires à la Constitution, ses chances d'obtenir une condamnation s'affaiblissent. Pour reprendre l'expression du juge de la Cour suprême aujourd'hui disparu Louis Brandeis, le gouvernement doit être un " enseignant omniprésent " de nos idéaux les plus grands. Dans le scandale d'Abou Ghraib, ni l'armée ni le gouvernement Bush n'ont vraiment joué ce rôle, et le public comme les médias ont été complices. Comment ceux qui sont collectivement coupables peuvent-ils alors accuser et montrer du doigt certaines personnes pour établir leur responsabilité individuelle ?

Certes, la responsabilité collective d'actes de torture et autres outrages à la pudeur invite au débat. Le public devrait-il répondre par la culpabilité ou la honte ? Beaucoup d'Américains en ont assez lu et vu pour ressentir une grande honte à l'idée d'appartenir à une nation partie en guerre avec des idées vertueuses pour finir par reproduire, voire dépasser, les exactions d'" Etats voyous " qualifiés d'ennemis.

La culpabilité, dit-on, dépend de ce que l'on fait ; la honte de ce que l'on est. Or ni la grande majorité des soldats, ni les citoyens américains en tant qu'individus, n'ont rien fait de mal en Irak (à part envahir le pays), et pourraient donc refuser des accusations de culpabilité collective pour les atrocités commises. Pourtant, dans d'autres cas, nous déclarons volontiers la culpabilité collective et l'obligation commune de réparation. C'était la conception la plus répandue au sujet de la responsabilité des Allemands dans l'Holocauste, et nombreux sont ceux qui prônent la même approche pour celle des Américains dans l'esclavage.

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