Un raisin dans le soleil israélien

WASHINGTON, DC – Des décennies d’efforts visant à réduire le taux de mortalité du à la conduite en état d’ivresse ont abouti à un mantra, « les amis ne laissent pas leurs amis conduire quand ils ont bu ». À la suite des élections israéliennes la semaine dernière, les amis du pays partout dans le monde devraient adopter un slogan comparable : « Les amis ne laissent pas leurs amis gouverner à l’aveugle. »

L’aveuglement d’Israël est auto-infligé. Son gouvernement ne parvenant pas à résoudre le conflit avec les Palestiniens selon les termes israéliens, il a donc décidé de se comporter comme si la question n’existait pas. Étonnamment, dans son discours de 39 minutes sur la menace existentielle posée par l’Iran à Israël adressé au Congrès américain plutôt ce mois-ci, le Premier Ministre Benyamin Netanyahu, n’a à aucun moment mentionné le peuple Palestinien. En campagne en Israël cependant, il ne parlait que de la menace que certains Palestiniens posent à la sécurité d’Israël aujourd’hui, et jamais de l’opportunité qu’offrent d’autres Palestiniens d’aboutir à la paix demain.

Les électeurs israéliens ont préféré la politique de la peur à celle des possibilités. Soutenir la droite ou le centre-gauche revenait à choisir entre les canons et le beurre, la sécurité et la prospérité.

L’Union Sioniste, le principal opposant au parti du Likoud de Netanyahu, s’est principalement focalisé sur les questions de politique intérieure comme le logement, les coûts de la vie très élevés, et les inégalités économiques croissantes. Netanyahu a lui insisté sur les menaces que font peser l’Iran, l’État islamique, et le Hamas sur Israël. Il a aussi ajouté une dimension raciste, alimentant les craintes le jour même des élections en déclarant que « les électeurs Arabes se ruaient aux urnes en masse. »

Pendant la campagne, Netanyahu a aussi renoncé à toute éventualité d’une solution à deux états pour résoudre le conflit israélo-palestinien. À un journaliste d’un site d’informations israélien qui lui demandait : « Êtes-vous en train de dire que si vous êtes Premier ministre, il n’y aura pas d’état Palestinien ? » Netanyahu a répondu : « Correct. »

Un fois certain de sa victoire, Netanyahu s’est immédiatement rétracté sur le sujet, déclarant que tout ce qu’il avait dit est qu’une solution à deux états était impossible compte tenu du contexte actuel, et aussi longtemps que l’Autorité Palestinienne sera en coalition avec le Hamas et aussi longtemps que l’évacuation des territoires entraînera « la montée d’un Islam militant. »

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Mais il est trop tard pour les explications de texte. Les Palestiniens ont clairement et explicitement entendu ce qu’ils savaient déjà depuis longtemps : le gouvernement Israélien n’a aucun intérêt à aboutir à un accord de paix. Il préfèrerait poursuivre sa politique de colonisation et se retrancher derrière des murs de sécurité. Une tragédie, vraiment, parce que cela entraîne les deux parties dans un cycle d’actions et de réactions qui à terme entravera une solution négociée à deux états– le genre de solution dans laquelle chacune des parties renoncera à certaines de ses demandes pour obtenir quelque chose que les deux parties revendiquent plus encore.

Israël se retrouve face à trois scénarios, et tous trois sont mauvais. L’un d’eux consisterait à se retrancher dans une plus grande isolation internationale et à opter pour une politisation du soutien à Israël aux Etats-Unis, traditionnellement son plus fidèle allié militaire et diplomatique. Les jeunes électeurs américains, une génération plus éloignée de l’Holocauste, ne partagent pas cet automatisme du soutien à Israël. Il ne voient pas Israël comme Israël se voit, une nation menacée : ils voient plutôt un gouvernement qui s’est explicitement aligné avec le parti Républicain et ils remettront aussi en question les raisons qui ont amené les Etats-Unis à se ranger aux côtés d’Israël aux Nations Unies lorsque même les alliés les plus proches de l’Amérique en Europe commencent à se désolidariser.

Si Netanyahu a été largement applaudi lors de son intervention au Congrès américain, plus de soixante démocrates ont boycotté son discours. Perdre le soutien des Européens et celui d’un nombre significatif d’Américains ne peut être bon augure pour la sécurité et la prospérité d’Israël.

Les Palestiniens chercheront désormais avec une détermination et une énergie renouvelées à obtenir un statut d’état par une reconnaissance unilatérale. S’ils y parviennent, Israël se retrouvera confronté à un état Palestinien dont il n’aura pas approuvé les frontières et à un conflit larvé qui entraînera une guerre réelle entre États, soumise à la loi internationale.

Et si les Palestiniens devaient échouer, ils s’en remettront probablement à la violence : une troisième intifada, plus violente, et avec un soutien international plus fort que lors des deux précédentes. Israël n’aura d’autre option que de répéter, à plus grande échelle, les horreurs des récentes guerres de Gaza, nourrissant les médias du monde avec des images d’enfants morts, d’écoles et d’hôpitaux en ruines, et des troupes israéliennes lourdement armées s’en prenant à des gamins qui lancent des pierres. Israël ou ses amis ne peuvent décemment désirer une telle situation.

Netanyahu pense qu’il peut construire une barrière et laisser le problème s’envenimer indéfiniment. Il serait bon de se souvenir des mots du fameux poème de Langston Hughes, qui devint l’hymne du mouvement américain des droits civils. En voici une version légèrement abrégée :

« Qu’arrive-t-il à un rêve différé ?

Sèche-t-il

Comme un raisin au soleil ?

Ou suppure-t-il comme une plaie–

Avant de s’étioler ?

Peut-être s’affaisse-t-il

Comme un lourd fardeau.

Ou alors, peut-être explose-t-il ? »

Les gouvernements israéliens successifs ont montré qu’ils peuvent gérer et contenir les explosions de frustration et de rage des Palestiniens. Mais ce faisant, Israël perd un peu plus son âme.

Israël est un pays particulier et dynamique, peuplé d’individus talentueux, travailleurs, et engagés qui ont beaucoup à apporter au monde. Mais en ignorant les rêves des Palestiniens, ses dirigeants actuels courent au cauchemar.

Traduit de l’anglais par Frédérique Destribats

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