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Les grandes banques en réparation

LONDRES – Deux approches différentes ressortent du débat actuel sur la réforme bancaire : la séparation ou la régulation. Le dilemme remonte au début du mandat du président américain Franklin D. Roosevelt à l’époque du New Deal, qui fit s’opposer les « trust-busters » (ou liquidateurs de trusts) aux régulateurs.  

Dans le domaine bancaire, les liquidateurs l'ont emporté avec le Glass-Steagall Act en 1933, qui faisait divorcer les banques de dépôts des banques d’affaires, créant par ailleurs un dispositif d’assurance pour les dépôts bancaires. Par la désagrégation du Glass-Steagall Act, et son abrogation finale en 1999, les banquiers ont triomphé des liquidateurs et des régulateurs, tout en maintenant le dispositif d’assurance pour les banques de dépôts. C’est ce système dépourvu de régulation qui s'est effondré en 2008, provoquant les répercussions mondiales que l'on connaît.

Afin de prévenir un autre crash bancaire, le premier problème à résoudre est celui de l’aléa moral – le fait qu’un preneur de risques assuré contre les pertes prendra très probablement davantage de risques. Dans la majorité des pays, si une banque où j’ai investi de l’argent fait banqueroute, c’est le gouvernement qui me dédommagera et non la banque. De plus, la banque centrale sert de « prêteur de dernière minute » aux banques de dépôts considérées « trop grandes pour échouer ». Par conséquent, les banques bénéficiant d’une assurance sur les dépôts et disposant d’un accès aux fonds de la banque centrale sont libres de jouer avec l’argent qui leur est confié ; ces banques, d’après John Kay, « possèdent un casino en annexe ».

Les dangers de l’aléa moral déclenchés par l’abrogation du garde-fou que le Glass-Steagall Act constituait sont devenus évidents lorsque la banqueroute a été permise à Lehman Brothers en septembre 2008. Les procédures de rachat ont été étendues ad hoc aux banques d’affaires, aux prêteurs (fournisseurs de prêts hypothécaires) et aux grands assureurs tels que AIG, protégeant ainsi les managers, les créditeurs et les détenteurs d’action contre toute perte. (Goldman Sachs a pu bénéficier de prêts soutenus par la Réserve fédérale en se transformant en société de portefeuilles). La majeure partie du système bancaire a donc pu prendre des risques sans avoir les moyens de payer l’addition en cas d'échec. Outre la colère du public, un tel système est intenable.

Le rejet prématuré de la nationalisation des banques nous a laissé les mêmes solutions qu’en 1933 : la séparation ou la régulation. Inspiré par Paul Volcker, ancien président de la Fed, le président Barack Obama a proposé une variante moderne du Glass-Steagall Act.

Sous le système Obama-Volcker, les banques de dépôts n’auraient pas le droit de se livrer à la spéculation « pour compte propre » ni de posséder, ou de financer, des hedge funds ou autres fonds spéculatifs. Qui plus est, la détention d’instruments dérivés serait également limitée. Obama a proposé qu’aucune banque de dépôts ne puisse posséder plus de 10 % des dépôts nationaux. L’idée principale est de minimiser la possibilité de prise de risques par les institutions financières soutenues par le gouvernement fédéral.

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L’autre méthode promue par Paul Krugman, lauréat du prix Nobel, et Adair Turner, président du Financial Service Authority britannique, vise à recourir à la régulation pour limiter la prise de risques sans changer la structure du système bancaire. Un nouveau train de mesures régulatrices ferait augmenter le minimum de capitaux des banques, limiterait la hauteur de leur endettement et permettrait d'établir une agence de protection financière des consommateurs afin de protéger des emprunteurs naïfs contre un système de « prêts rapaces ».

Or, il n’est pas question de choisir l’une ou l’autre. Début février, Simon Johnson du MIT a promis à la Commission bancaire du Sénat américain d’appliquer la méthode Volcker, mais s’est aussi prononcé en faveur d’un renfort « considérable » (de 7 % à 25 %) du ratio des capitaux des banques de dépôt et d’une amélioration de la procédure de banqueroute avec un « testament de vie », qui permettrait de geler certains actifs seulement.

A supposer que le plan d’Obama fonctionne, il est probable que nombre de ses mesures ne survivent pas. Les principes de son approche sont contrariés par des arguments de poids. D’aucuns soulignent que la « bonne vieille technique de mauvais prêt » des banques de dépôts représentait 90 % des pertes bancaires. Un exemple classique n’est autre que la Royal Bank of Scotland de Grande-Bretagne, qui n’est pas une banque d’investissement.

En général, les banques de dépôts ont subi des pertes sur les marchés de l’immobilier résidentiel et commercial. Là, le remède n’est pas de séparer les banques, mais de limiter les prêts accordés par les banques dans ce secteur – en les obligeant par exemple à garder une certaine proportion des prêts hypothécaires dans leur bilan, et en augmentant le capital requis pour emprunter dans l’immobilier commercial.

En outre, beaucoup de pays dont le système bancaire est intégré n’ont pas eu besoin de sauver leurs institutions financières. Au Canada, où les banques n’étaient pas « trop grandes pour échouer » – juste trop ennuyeuses –, il n’existe pas d’équivalent ou de concurrent à Wall Street ou à la City de Londres. Le gouvernement canadien a donc pu nager à contre-courant de l’innovation financière et de la dérégulation. Ce sont les Etats-Unis ou le Royaume-Uni qui ont essuyé les plus grosses pertes, pays dont les secteurs financiers, fortement politisés, rivalisaient pour s'assurer une suprématie financière mondiale.

Voilà ce que les régulateurs bien intentionnés oublient. A la base, le combat entre les deux approches est une question de pouvoir et non de technique économique financière. Ainsi que Johnson l’a indiqué lors de son allocution au Congrès : « les solutions basées sur une meilleure surveillance, une régulation plus avisée et des corrections ne prennent pas en compte les contraintes politiques imposées à la régulation ni le poids politique des grandes banques ».

De telles solutions partent du principe que les régulateurs seront capables d’identifier les risques supplémentaires, d’empêcher les banques de manipuler les régulations et de résister à toute pression politique pour laisser les banques seules et imposer des mesures de correction controversées qui « seront trop compliquées pour être défendues en public ». Elles partent aussi du principe que les gouvernements auront le courage de les défendre tandis que leurs adversaires les accuseront de socialisme et de crime contre la liberté, l’innovation, le dynamisme, etc. En fait, ces jérémiades ont déjà commencé, initiées par Lloyd Blankfein, président de Goldman Sachs.

Autre parallèle intéressant avec le New Deal : le Glass-Steagall Act est passé au Congrès dans les cent premiers jours du mandat de Roosevelt. Obama a attendu plus d’un an avant de proposer sa réforme des banques, qui ne passera vraisemblablement pas. Ce n’est pas seulement parce que la crise du secteur bancaire de 1933 était plus importante que la crise actuelle ; mais parce que les lobbies financiers, bien plus puissants de nos jours, agissent aujourd’hui entre l’élaboration et l’application des mesures. Si les réformateurs gagnent la bataille, ils doivent se préparer à combattre les intérêts des personnes les plus puissantes au monde.

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