rabinovich13_Ronen Zvulun_AFP_Getty Images_peres Ronen Zvulun/AFP/Getty Images

Le Dernier Père fondateur d’Israël

TEL-AVIV – En 2006, Michel Bar-Zohar publiait l’édition en hébreu, sur-titrée « Comme un phénix », de sa biographie de Shimon Peres [2008 pour la trad. française], un an avant que celui-ci, après en avoir animé pendant plus de soixante ans la vie publique et la scène politique, ne soit élu à la présidence d’Israël.

La carrière de Peres connut des hauts et des bas – il parvint aux sommets les plus élevés et connut d’humiliants échecs – et elle emprunta différentes incarnations. Cheville ouvrière de la sécurité nationale et pilier de sa direction, il fut ensuite un ardent bâtisseur de paix, entretenant une relation d’amour-haine avec une opinion israélienne qui a toujours refusé de l’élire au poste de Premier ministre mais l’admirait lorsqu’il n’avait pas ou ne recherchait pas le pouvoir proprement dit.

Solide dans l’adversité, il poursuivait sa route, mû tant par son ambition que par son sens du devoir et de sa mission, aidé par ses talents et par sa créativité. Autodidacte, lecteur enragé, écrivain prolifique, il se laissait emporter et inspirer par des idées qui surgissaient cycliquement, au fil des années : les nanosciences, le cerveau humain, le développement économique du Moyen-Orient…

C’était aussi un visionnaire et un politique madré, qui ne se défit jamais complètement de ses origines est-européennes. Il n’acheva sa course pour le pouvoir et ne cessa de prendre une part effective aux décisions politiques que pour accéder, en 2007, parachevant sa vie publique, à la présidence de l’État d’Israël, poste qu’il occupa jusqu’en 2014. Il réhabilita cette institution, ternie par son indigne prédécesseur. Enfin populaire dans son pays, admiré à l’étranger comme une sorte de sage global, orateur recherché des forums internationaux, il était le symbole d’un Israël en quête de paix, contrastant nettement avec la figure agressive du Premier ministre, Benjamin Netanyahou.

Riche et complexe, la carrière politique de Peres se déroule en cinq grandes phases. Il commence à militer au Parti travailliste et dans son mouvement de jeunesse dès le début des années 1940. En 1946, on considère qu’il a suffisamment d’expérience pour être envoyé en Europe dans la délégation du proto-État au premier Congrès sioniste de l’après-guerre. Il devient alors l’un des proches collaborateurs du principal fondateur d’Israël, David Ben Gourion, au ministère de la Défense, où il s’occupe surtout d’acheter des armes durant la guerre d’Indépendance, avant de s’en voir confier la direction générale. 

À ce poste, Peres se fait l’architecte de la doctrine de défense du jeune État. Dirigeant une sorte de ministère parallèle des Affaires étrangères, il parvient à créer les bases d’une alliance rapprochée et d’une solide coopération en matière de sécurité – qui comprend un transfert de technologie nucléaire – avec la France.

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En 1959, Peres entre à temps plein dans la vie politique, soutenant Ben Gourion dans son conflit avec la vieille garde travailliste. Plus tard, il est élu à la Knesset, la Chambre des députés d’Israël, et devient l’adjoint du ministre de la Défense, puis membre à part entière du gouvernement.

En 1974, lorsque la Première ministre, Golda Meir, est contrainte à la démission après la débâcle d’octobre 1973 et le franchissement du canal de Suez par les troupes égyptiennes d’Anouar el-Sadate, sa carrière entre dans une nouvelle phase. Peres se présente, mais il est battu de peu par Yitzhak Rabin, qui lui offre le poste de ministre de la Défense dans son gouvernement. La compétition entre les deux hommes cette année-là ouvre vingt-et-un ans d’une rivalité farouche que tempérera toutefois leur coopération au pouvoir.

Par deux fois, en 1977, après la démission forcée de Rabin et, en 1995-1996, après son assassinat, Peres a succédé à son rival. Il fut aussi (un très bon) Premier ministre dans un gouvernement d’unité nationale entre 1984 et 1986. Mais il ne fut jamais élu à ce poste tant convoité, malgré plus de trente années d’efforts.

En 1979, Peres se change en figure de proue du camp de la paix. Il concentre ses efforts, dans les années 1980, sur la Jordanie. En 1987, il s’en faut d’un cheveu qu’il ne parvienne à la paix, lorsqu’il signe, avec le roi Hussein, l’accord de Londres. Mais l’accord est mort-né. En 1992, la base du Part travailliste, persuadée qu’il ne pourra pas gagner les élections et que seul un centriste comme Rabin aura ses chances, refuse son investiture à Peres.

Rabin remporte les élections et revient, quinze ans après, au poste de Premier ministre. Cette fois, il garde pour lui-même le portefeuille de la Défense et offre à Peres celui des Affaires étrangères. Rabin est déterminé à conduire le processus de paix et ne concède à Peres qu’un rôle marginal. Mais Peres se voit offrir par un adjoint de Rabin l’opportunité de défendre une deuxième piste de négociations avec l’OLP à Oslo et, Rabin ayant donné son accord, il prend en charge les pourparlers, qu’il fait aboutir en août 1993.

C’est sans doute le meilleur exemple du mélange de compétition et de collaboration qui caractérisa la relation Rabin-Peres. Il fallut toute la hardiesse et la créativité de Peres pour conclure les accords d’Oslo, mais sans la crédibilité que conférait à Rabin son passé de militaire et de faucon, ni l’opinion publique ni la classe politique israéliennes ne les auraient acceptés.

Cette collaboration en demi-teinte entre Rabin et Peres se poursuit jusqu’au 4 novembre 1995, lorsque Rabin est assassiné par un extrémiste de droite. L’assassin aurait pu tuer Peres, mais il a décidé qu’il était plus efficace, pour faire dérailler le processus de paix, de tirer sur Rabin. Succédant à Rabin, Peres tente de négocier, dans le sillage d’Oslo, un accord de paix avec la Syrie. Il échoue, convoque des élections anticipées, mène une mauvaise campagne, et perd de peu face à Netanyahou en mai 1996.

Les dix années qui suivent ne sont pas pour Peres une période heureuse. Il perd la direction du Parti travailliste au profit d’Ehoud Barak, rejoint Ariel Sharon au sein du parti Kadima, que celui-ci vient de créer, et entre dans son gouvernement. Il est alors l’objet de critiques et d’attaques de la part de la droite israélienne, qui lui reproche les accords d’Oslo. Peres commence à minimiser l’importance du prix Nobel qu’il a partagé avec Yasser Arafat après Oslo. Le contraste entre sa dimension internationale et sa position dans le jeu politique israélien, devenu flagrant durant ces années, s’estompe considérablement lorsqu’il devient président, en 2007.

Peres fut un dirigeant expérimenté et doué, un orateur éloquent et une source d’idées nouvelles. Mais le plus important, peut-être, c’est qu’il fut un dirigeant israélien qui avait une vision et portait un message. Là est le secret de sa stature internationale : on attend du dirigeant d’Israël, de l’homme de Jérusalem, qu’il soit justement ce type de figure visionnaire. Lorsque la direction politique du pays ne répond pas à cette attente, c’est un dirigeant comme Peres qui s’arroge le rôle – et qui en récolte la gloire.

Traduction François Boisivon

https://prosyn.org/3e0qHOxfr