Netanyahu European External Action Service/Flickr

Netanyahou acteur de l’isolement israélien

TEL AVIV – L’accord nucléaire conclu entre l’Iran et les cinq membres permanents du Conseil de Sécurité des Nations Unies (Chine, France, Russie, États-Unis et Royaume-Uni), ainsi que l’Allemagne, ne constitue en rien une capitulation de l’Iran, comme l’aurait souhaité le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou. Par ailleurs, cet accord se révèle aussi imparfait que peut l’être tout accord conclu entre des parties en opposition. Il établit toutefois un cadre solide, destiné à empêcher l’Iran de concevoir des armes nucléaires pour les 10 à 15 prochaines années – ce qui constitue une évolution très positive.

S’il le souhaitait, Netanyahou pourrait s’attribuer un mérite considérable dans le cadre d’un tel accomplissement. S’il n’avait pas alimenté une inquiétude planétaire autour des ambitions nucléaires de l’Iran, l’effroyable régime de sanctions internationales ayant finalement contraint l’Iran à un accord n’aurait peut-être jamais été mis en place.

Mais au contraire, Netanyahou insiste lourdement en présentant cet accord comme un fiasco stratégique, et en souligne les ambiguïtés concernant notamment les mécanismes d’inspection, le nombre de centrifugeuses dont le maintien est autorisé, ou encore les conditions nécessaire à la réapparition de sanctions dans le cas où l’Iran viendrait à violer l’accord. En choisissant cette voie, non seulement Netanyahou se prive-t-il de l’opportunité de clamer une victoire diplomatique majeure, mais il renforce également l’isolement international d’Israël.

Et voici désormais que Netanyahou redouble d’efforts afin de persuader le Congrès d’adopter une « résolution de désapprobation ». Il est très peu probable que cela se produise, encore moins au cours d’une année électorale, dans la mesure où ceci exigerait que 13 sénateurs démocrates et 48 représentants du même bord s’opposent directement au président Barack Obama. En effet, les efforts de Netanyahou ne sont efficaces qu’en ce qu’ils font d’Israël une problématique partisane de plus en plus créatrice de divisions au sein du monde politique américain. Il y a là un jeu dangereux : bien que les États-Unis soient aujourd’hui moins enclins à le faire, il est déjà arrivé par la passé que le pays s’oppose à la communauté internationale en soutenant Israël.

Même si Netanyahou parvenait à obtenir cette résolution du Congrès, une telle démarche ne servirait pas ses intérêts. Dans la mesure où la résolution concernerait uniquement les sanctions américaines, elle pourrait ne pas invalider l’accord, la levée des sanctions imposées par les autres puissances internationales étant susceptible de produire une motivation suffisante de l’Iran dans le maintien de ses propres engagements. Pire encore, l’Iran pourrait plus tard décider de se ruer vers la bombe, avec à ce stade le soutien de pays comme la Chine et la Russie, sur fond de système international de plus en plus fragmenté.

Mais malgré les défaillances évidentes dans le point de vue de Netanyahou, nous aurions tort de n’y opposer qu’un rejet. Contrairement à la croyance populaire, Netanyahou ne se limite pas à un politicien cynique en quête de sujets susceptibles de détourner l’attention des difficultés croissantes d’Israël sur le plan intérieur, ou du conflit qui l’oppose à la Palestine. Son obsession à l’égard de l’Iran – sans parler des calculs a priori irrationnels qui le conduisent tout droit vers une confrontation suicidaire avec les États-Unis, premier bienfaiteur d’Israël – puise sa source dans des convictions profondément ancrées, dans un système de pensée politique particulier, et dans sa propre vision de l’histoire juive.

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Netanyahou est un idéologue du malheur des juifs. Sa vision de l’histoire juive reflète celle de son propre père, l’historien Benzion Netanyahou, qui gagna l’Amérique dans les années 1940 afin de dénoncer l’incapacité des alliés à sauver les juifs européens de l’Holocauste, et ainsi de mobiliser le soutien au sionisme. Dans son discours devant le Congrès américain du mois de mars, Netanyahou a d’ailleurs rappelé les efforts qu’avait fournis sont père.

Seulement voilà, Netanyahou fait plus que rappeler les réalités du passé. Le sionisme avait à l’origine pour objectif de permettre aux juifs de rompre avec leur propre histoire. Or, Netanyahou instaure un lien entre l’existence de l’État d’Israël et le passé d’angoisse, de difficultés et de souffrances de l’ensemble du peuple juif. Ainsi, peu importe qu’Israël possède tout un arsenal nucléaire (d’après les sources étrangères), jouisse d’une économie solide, et entretienne une alliance inébranlable auprès du pays le plus puissant de la planète ; aux yeux de Netanyahou, Israël semble en effet se limiter à un ghetto juif d’autrefois, contraint de tenir le choc face à de perpétuelles menaces extérieures.

Selon cette conception hobbesienne, la moindre évolution observée – qu’elle soit de nature politique, stratégique ou autre – est susceptible de faire naître une menace, et de représenter un défi pour l’existence même de toute la nation juive. Le seul moyen d’éviter la catastrophe consisterait ainsi à demeurer constamment vigilant. 

Dans le cadre de cette logique, les différents risques et défis ne peuvent être abordés dans un état d’esprit de résolution ; ils doivent simplement rappeler au peuple juif combien il est nécessaire de rester sur ses gardes. Netanyahou considère comme une absurdité politique l’idée selon laquelle l’accord conclu autour du nucléaire permettrait de ménager une période de 10 à 15 ans au cours de laquelle créativité et sens politique pourraient finalement conduire à refaçonner la politique dans la région. Selon lui, un système de paix et de sécurité fondé sur un accord auprès de pays arabes, et faisant intervenir la non-prolifération des armes nucléaires, constitue un projet naïf élaboré par des idéalistes, et non par un dirigeant conscient des leçons de l’histoire juive.

Selon cette approche, la Palestine n’est alors en rien différente de l’Iran. Le conflit palestinien est lui aussi insoluble, tout au plus gérable. Le Hamas étant au contrôle de Gaza et renforçant l’idée d’une Palestine menaçante, le sujet vient galvaniser toute la nation judéo-israélienne.

Si Israël entend inverser la courbe de son isolement international, et contribuer à la construction d’un environnement sécuritaire viable dans la région, il va lui falloir changer d’approche. Paranoïa et antagonisme doivent céder la place à une politique réfléchie, consistant pour les dirigeants israéliens à discuter d’une éventuelle compensation stratégique auprès des États-Unis, à travailler avec d’autres puissances afin de résoudre la question du soutien que l’Iran fournit au Hamas et au Hezbollah, ainsi qu’à envisager un réamorçage crédible des négociations de paix avec le président palestinien Mahmoud Abbas.

Le parti travailliste israélien, qui débat actuellement de la possibilité de rejoindre le gouvernement de Netanyahou, ferait bien de s’interroger consciencieusement sur la question de savoir si le Premier ministre est capable d’opérer un tel changement. Car si tel n’est pas le cas, et que n’émerge aucune autre force compétente sur cette voie, les sombres prophéties de Netanyahou pourraient bien devenir une réalité.

Traduit de l’anglais par Martin Morel

https://prosyn.org/QdfvJLafr