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Combien d’être humains serons-nous demain ?

NEW YORK – Une nouvelle étude publiée en juillet dans The Lancet annonce qu’une croissance continue « au cours du siècle ne sera sans doute plus la trajectoire de la population mondiale ». Il faut davantage s’attendre à ce que la population mondiale atteigne en 2016 le pic des 9,7 milliards d’habitants, avant de retomber à 8,8 milliards en 2100. Selon les auteurs de l’étude, la population de 23 pays – notamment du Japon, de la Thaïlande et de l’Espagne – devrait diminuer de moitié sur la période de 2017 à 2100, tandis que la population « de 34 autres pays devrait décliner de 25-50 %, notamment en Chine, avec une prévision de diminution de 48,0 % ».

Par opposition, il est prévu que la population du Nigeria soit multipliée par 3,8 sur la période 2017-2100, malgré un taux moyen de fertilité qui devrait passer de 5,1 à 1,7 – c’est-à-dire inférieur au niveau de remplacement, ainsi qu’au taux de la Suède en 2017 (1,8 enfant par femme). En 2017, le Nigeria était le seul pays d’Afrique subsaharienne à figurer parmi les dix pays les plus peuplés de la planète. En 2100, cette liste devrait également inclure la République démocratique du Congo, l’Éthiopie et la Tanzanie.

Sur les quatre pays les plus peuplés aujourd’hui après la Chine, l’Inde et l’Indonésie devraient connaître une diminution de leur population, et les États-Unis et le Pakistan une croissance de la leur, pour des raisons toutefois différentes. Dans le cas des États-Unis, cette croissance devrait s’expliquer par l’immigration, laquelle devrait compenser une diminution du taux de fertilité, dont on s’attend à ce qu’il passe de 1,8 à 1,5. Dans le cas du Pakistan, la croissance démographique sera d’après les auteurs fondée sur un taux de fertilité plus élevé, même s’il passera d’après leurs estimations de 3,4 à 1,4 d’ici 2100 – en dessous du taux actuel ou prévu pour les États-Unis.

Les réserves habituelles s’appliquent néanmoins. Ces projections spécifiques à chaque pays sont en effet soumises à encore plus d’incertitude que les prévisions mondiales. Comme le soulignent les auteurs, les tendances démographiques sont toujours susceptibles de se révéler plus ou moins prononcées que prévu. Par ailleurs, leur « cadre de modélisation » exclut plusieurs variables majeures, telles que les effets du changement climatique ou le risque de pandémies de type COVID-19.

Le bilan des prévisions démographiques passées n’inspire pas non plus une pleine confiance. En 1798, l’économiste britannique Thomas Robert Malthus annonce que la croissance démographique excèdera inévitablement celle de la production alimentaire, avec pour conséquence une famine généralisée. Plus tard, lors de la Grande Dépression des années 1930, beaucoup s’attendent à un déclin définitif de la population mondiale. Dans les années 1950 et 1960, la nouvelle crainte réside au contraire dans une croissance démographique rapide et continue, susceptible d’anéantir l’humanité et la planète – on parle à l’époque de « bombe démographique » et d’une « Famine 1975 ! ».

Toutes ces prévisions se révèleront erronées. La vérité, c’est qu’il nous est impossible de savoir précisément combien d’enfants naîtront au cours de ce siècle. Ce que nous pouvons faire, en revanche, c’est fournir davantage d’efforts pour améliorer nutrition, santé, logement, éducation, prospérité, paix, sécurité, égalité des chances, qualité de l’environnement, stabilité climatique, et liberté pour tous. L’avenir des grossesses, de l’éducation des enfants, de la santé et survie des populations, ainsi que des tendances de migration et d’intégration sociale, dépendra des investissements et engagements que prendront les pays aujourd’hui et dans les prochaines décennies. Leadership politique éclairé et soutien à une éducation de masse de qualité sont ici de la plus haute importance, de même qu’une alimentation nutritive, l’accès à la contraception et aux soins de santé, ainsi que le caractère constructif des relations internationales.

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L’étude du Lancet n’est pas la première à prédire la fin de la croissance démographique mondiale d’ici 2100. Ses auteurs apportent en revanche une contribution singulièrement précieuse, en formulant également plusieurs propositions originales pour améliorer plus généralement les projections démographiques. Aspect majeur, cette nouvelle étude intègre des facteurs externes pour prédire les futurs taux de natalité, de mortalité et de migration. Les prévisions de fertilité, par exemple, dépendent des engagements futurs en faveur de l’éducation et de l’accès à la contraception. De même, les prévisions relatives aux migrations prennent en compte le revenu par habitant, l’éducation, la fertilité, les décès liés aux conflits et aux catastrophes naturelles, ainsi que d’autres variables.

Reste à savoir si ces facteurs externes – eux-mêmes incertains – amélioreront la précision des projections démographiques par rapport à celles publiées par la Division de la population des Nations Unies, qui reposent sur des extrapolations démographiques et sur un jugement professionnel. Ces 50 dernières années, les projections de l’UNPD se sont révélées raisonnablement précises pour la population mondiale, mais un peu moins pour les pays dans leur individualité.

Si les projections démographiques des différentes agences diffèrent sur la question de savoir si et quand la croissance de la population mondiale cessera, toutes s’accordent en revanche sur quelques points. Toutes les agences s’attendent à ce qu’en 2100, le nombre moyen d’enfants par femme au cours de la vie diminue partout à travers le monde. Le débat concerne davantage la mesure, la rapidité, le timing et la géographie de cette tendance.

Naturellement, les futures trajectoires démographiques dépendront considérablement de l’évolution de la fertilité. Nous pouvons raisonnablement estimer que dans le futur, une part beaucoup plus importante de la population mondiale vivra dans des villes, et dans les pays pauvres d’aujourd’hui. Une part bien supérieure de la population mondiale sera chronologiquement âgée, même si elle ne le sera pas nécessairement sur le plan fonctionnel ou mental. Par ailleurs, la proportion d’individus en âge de travailler, que l’on considère généralement comme les 15-64 ans, diminuera considérablement, et il sera certainement nécessaire de revoir la définition de la catégorie « en âge de travailler ».

Enfin, une part beaucoup plus importante de la population mondiale sera d’origine africaine, plutôt que d’origine européenne, américaine, est-asiatique ou sud-asiatique. Par ailleurs, en conséquence des migrations, de nombreuses sociétés deviendront beaucoup plus hétérogènes en termes d’origines, de langues, de religions, de coutumes et d’aspirations. Quel que soit le nombre que nous représenterons alors, il nous faudra apprendre à vivre ensemble dans la paix, sans quoi nous ne vivrons plus.

Traduit de l’anglais par Martin Morel

https://prosyn.org/I94og0Rfr