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L’urbanisation de la Chine

PEKIN – Le taux d’urbanisation de la Chine, mesuré par le pourcentage de sa population vivant dans les villes, se situe aujourd’hui autour des 48%, d’après les statistiques officielles. Etant donné que la fraction de la population habitant en ville était seulement de 18% il y a à peine 30 ans, ceci constitue un progrès remarquable.

Mais ce progrès n’est pas encore suffisant, parce que la plupart des autres pays ont connu, à une étape de développement similaire, une urbanisation plus rapide que leur industrialisation. Aujourd’hui, l’urbanisation de la Chine est à la traîne par rapport à son industrialisation, qui est d’environ 70% si elle est mesurée par le pourcentage de la population active dérivant son revenu principalement d’activités non agricoles.

Une autre différence frappante entre la Chine et d’autres pays en développement est que les villes chinoises, grandes et petites, ne présentent aucun signe de pauvreté urbaine ou de bidonvilles. On attribue souvent cela au hukou chinois, le système d’enregistrement des ménages, qui sépare dès l’enfance les ménages privilégiés dans les villes et les ménages pauvres dans les campagnes. Pourtant, bien que le système du hukou puisse empêcher les habitants des campagnes de profiter de certains bénéfices et services publics propres aux villes, tels que l’éducation publique, les soins de santé ou les allocations de chômage, il n’a jamais interdit aux travailleurs ruraux de migrer vers les villes.

En fait, le gouvernement chinois a même encouragé les travailleurs ruraux à migrer vers les villes en vue de trouver de meilleurs emplois. C’est la raison pour laquelle plus de 40% de la force de travail chinoise, quelques 300 millions de personnes, sont passés de l’agriculture aux secteurs industriels ou des services, qui sont de plus en plus concentrés dans les villes. En conséquence, dans les villes chinoises aujourd’hui, le nombre de travailleurs migrants présentant un hukou rural dépasse en moyenne le nombre de travailleurs avec un hukou urbain.

Dès lors, si ce n’est pas le système du hukou, qu’est-ce qui a empêché le développement de bidonvilles en Chine ? Je crois que l’institution la plus importante qui a empêché l’extrême pauvreté urbaine est le système foncier particulier dans les zones rurales en Chine.

L’ensemble du processus de réforme en Chine a commencé par l’adoption de ce qui est appelé « le système contractuel pour ménage rural », qui loue à bail de la terre productive aux ménages agricoles. En conséquence, la production collective disparut rapidement au cours du processus de réforme, au profit de l’agriculture privée.

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Bien que des « collectivités » agricoles soient restées propriétaires de la terre, les ménages gardent toute la production « résiduelle », ce qui procure les incitants nécessaires à l’utilisation efficace de la terre. Ils peuvent même transférer le bail à d’autres ménages agricoles si les membres du ménage trouvent de meilleurs emplois en ville.

Les ménages gardent ce droit pour toute la durée du bail (à présent 30 ans), mais ils n’ont aucun de droit de propriété sur la terre elle-même. Si les travailleurs ruraux ont des difficultés financières, ce qui a souvent provoqué des ventes de terre dans d’autres pays, ils peuvent soit travailler davantage, soit trouver un autre emploi, ou encore demander l’aide du gouvernement. Mais la terre ne peut jamais être vendue ni hypothéquée, et son usage agricole ne peut être détourné vers d’autres fins commerciales sans permission du gouvernement.

Ces dispositions particulières ont généré un résultat important : si les travailleurs migrants perdent leur travail en ville, ils gardent toujours le revenu du bail sur leur terre, et peuvent retourner au village et retrouver leur terre (normalement endéans un an). Le petit lopin de terre alloué sous le système contractuel pour ménage rural ne rend sans doute pas les agriculteurs riches, mais il sert de filet de sécurité social de dernier recours.

Ceci permet d’expliquer dans une large mesure pourquoi l’urbanisation de la Chine est restée à la traîne : le système de bail sur la terre – qui semble impossible à répliquer dans d’autres pays en développement – garantit que le réservoir de main d’ouvre pour l’industrialisation et l’urbanisation demeure dans les villages à la campagne, au lieu des bidonvilles urbains.

Bien que cet arrangement permette une transition en douceur vers l’urbanisation, il est transitoire et non permanent. Les travailleurs migrants sont souvent incapables de s’intégrer véritablement dans les villes, parce que leur filet de sécurité social reste ancré dans leurs origines rurales. La ségrégation causée par le système foncier a ainsi élargi les disparités sociales plutôt que de les réduire.

Etant donné ces circonstances, et le fait que les Chinois sont hautement mobiles, l’urbanisation du pays est loin d’être stable. Pour parvenir à une « urbanisation permanente », le Chine doit développer un nouveau filet de sécurité. Il serait sans doute facile d’annoncer l’abolition du système du Hukou, mais cela aurait peu de sens en l’absence d’institutions capable de protéger contre les risques que connaissent les travailleurs migrants dans les villes chinoises.

La clef du succès est ici de parvenir à fournir aux travailleurs migrants des services publics tels que l’éducation et un filet de sécurité formel, serait-ce à un niveau plus faible à cause des ressources publiques limitées. Lorsque cela sera fait, les immigrants provenant des zones rurales seront heureux de s’installer de manière permanente dans les villes, et la société chinoise deviendra plus égale en termes d’accès aux services publics.

Le nouveau plan quinquennal pour le développement social et économique en Chine, devant être mis en ouvre en 2011, abordera peut-être le problème de manière significative, s’il cherche à établir un système de sécurité sociale national, universel et transférable. Le plan demandera pourrait aussi demander aux gouvernements des villes d’augmenter la provision de biens publics – tels que éducation, soins de santé, et revenu minimal garanti – destinés aux résidents permanents non hukou. Quelques expériences dans ce sens ont déjà été menées dans des villes comme Chongqing et Chengdu.

L’urbanisation de la Chine prendra sans doute des générations pour aboutir. Mais, après de longs débats et hésitations, il est clair que les décideurs politiques semblent prêts à aborder la prochaine phase d’urbanisation, en adoptant de nouvelles approches.

Le défi principal n’est pas l’infrastructure ni les installations urbaines, aussi importantes soient-elles. Au contraire, la clef du succès sera de rendre les immigrants ruraux dans les villes chinoises des citoyens égaux en termes d’opportunités et de services publiques. Ce ne sera pas possible du jour au lendemain. Mais, petit à petit, cela est faisable et nécessaire.

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