Vers une nanotechnologie verte

L’avènement de la nanotechnologie, branche de l’ingénierie qui cherche à construire des objets molécule par molécule, voire même atome par atome, fait naître des images futuristes de « nanobots » autoreproducteurs se lançant dans la chirurgie ou transformant toute la planète sur leur passage en une masse de matière poisseuse grise.

Ces deux scénarios suivent une ligne conductrice bien connue : le progrès technologique, tel que le développement du nucléaire, les organismes génétiquement modifiés, les technologies de l’information et la chimie organique de synthèse, promet généralement le salut national avant de se montrer menaçant quand ses conséquences, souvent liées à l’environnement, deviennent visibles. Même la décontamination des eaux, l’avancée technologique la plus importante à avoir vu le jour pour la prolongation de l’espérance de vie des hommes, est source de sous-produits cancérogènes. Le cycle des découvertes fondamentales, du développement technologique, de la mise en évidence des effets secondaires indésirables et du rejet du public semble immuable.

En sera-t-il autrement pour la nanotechnologie ? Avec l’euphorie et le battage des premiers temps, qui accompagnent immanquablement le déploiement de nouvelles technologies, la nanotechnologie a fait l’objet de projections sur les risques possibles liés à l’environnement bien avant sa commercialisation à grande échelle. Soulever ces questions alors que la nanotechnologie n’en est qu’à ses balbutiements pourrait permettre de produire de meilleurs produits, plus sûrs, et de réduire les risques industriels à long terme.

L’industrie des nanomatériaux, en développement rapide, est le secteur de la nanotechnologie qui est le plus à même d’affecter notre vie dans un premier temps. Une évaluation réalisée par la Nanobusiness Alliance en 2003 a permis d’identifier les nanomatériaux comme l’unique et la plus importante catégorie de start-ups en nanotechnologie.

Rien que dans l’industrie des technologies de l’environnement elle-même, les nanomatériaux permettront l’avènement de nouveaux moyens pour réduire la production des déchets, pour utiliser nos ressources de manière plus économe, pour nettoyer les contaminations industrielles, pour fournir de l’eau potable et améliorer l’efficacité de la production et de l’utilisation de l’énergie. Les applications commerciales des nanomatériaux qui sont déjà sur le marché ou en passe de devenir disponibles sont les nanofilms d’ADN ou particules de titane issues de la nano-ingénierie pour les filtres solaires et les peintures, les composites de nanotubes de carbone pour les pneumatiques, les silicates ou nanopoudre de céramique comme lubrifiants solides et enfin les nanomatériaux à base de protéine pour les savons, shampooings et autres détergents.

La production, l’utilisation et l’élimination des nanomatériaux amènera inévitablement à leur résurgence dans l’air, l’eau, les sols ou les organismes. Il faut mener des recherches pour s’assurer que les nanomatériaux et l’industrie qui les produit évoluent comme un atout plutôt que comme un risque.

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Malheureusement, on sait peu de choses sur l’impact possible des nanomatériaux sur l’environnement. Ironiquement, les propriétés des nanomatériaux qui pourraient fournir matière à s’inquiéter, telles que la fixation des nanoparticules dans les cellules, sont souvent les propriétés recherchées pour des applications médicales présentant de gros avantages.

Ainsi, par exemple, en dix ans d’études sur les effets possibles sur la santé d’une classe de nanomatériaux à base de carbone, connue sous le nom de fullerène, on apprend que les molécules de footballène, aussi connues sous le nom de « buckminsterfullerènes », sont des anti-oxydants puissants dont la force est comparable à celle de la vitamine E.

 D’autres études démontrent que certains types de buckminsterfullerènes peuvent se révéler toxiques pour certaines cellules tumorales. Deux études récentes montrent que les buckminsterfullerènes pourraient entraver les fonctions cérébrales chez les poissons et sont fortement toxiques pour les cultures de tissus humains. Cependant, les conclusions de ces études sont difficiles à interpréter, en partie parce que les nanomatériaux utilisés furent contaminés par un solvant organique qu’on y ajouta pour mobiliser les fullerènes dans l’eau.

Une étude ultérieure sur la toxicité des fullerènes n’a trouvé aucun élément toxique dans les buckminsterfullerènes, mais à dégager une réponse toxique dans les cultures cellulaires d’un second groupe de fullerènes appelées « nanotubes à paroi simple ». A ce stade des recherches, la question de la toxicité éventuelle des nanomatériaux fullerènes reste largement sans réponse.

Déterminer si une substance est « dangereuse » implique de déterminer non seulement la toxicité du matériau mais également le degré de contact qu’il pourra établir avec une cellule vivante. La toxicité peut être évaluée en plaçant les buckminsterfullerènes en aquarium, mais nous devons également déterminer si les buckminsterfullerènes pourraient en fait entrer en contact avec un véritable « aquarium » tel un lac ou une rivière.

Nous savons cependant que tout matériau résistant à son élimination peut rester présent pendant de longues années dans l’environnement et possède ainsi de grandes chances d’interaction avec un environnement vivant.  Pourtant, les processus qui peuvent entraîner la dégradation des nanomatériaux, notamment la dégradation chimique par bactérie, sont quasi inexplorés à ce jour.

De plus, tout comme dans le domaine de la toxicité et de la persistance, on sait peu de choses sur les déplacements des nanoparticules dans l’environnement. Les nanomatériaux les plus dangereux sont ceux qui seraient mobiles et toxiques. Les fullerènes qui ont été au cœur des premières études sur la toxicité font partie des nanomatériaux les moins mobiles que nous ayons étudié à ce jour. Nos premiers travaux sur la mobilité des nanomatériaux en formations qui ressemblent aux aquifères de nappe captive ont montré qu’alors que ce type de nanomatériau peut très bien se montrer mobile, d’autres pourraient très bien ne pas l’être du tout. Ainsi, chaque nanomatériau peut se comporter différemment du reste.

Les inquiétudes sur les effets possibles des nanomatériaux sur la santé publique et l’environnement ont peut-être jeté une ombre sur le besoin pressant de garantir que leur production soit réalisée dans un environnement propre et relativement bénin. En effet, de nombreux ingrédients utilisés dans la production de nanomatériaux sont actuellement connus comme étant dangereux pour la santé publique.

Développement encourageant dans ce sens, les méthodes utilisées pour la production de nanomatériaux sont souvent devenues plus « vertes » lors de leur passage du laboratoire au site de production industrielle. Si l’on laisse de côté la question de la toxicité des nanomatériaux, les premiers résultats suggèrent que leur fabrication entraîne des risques qui sont inférieurs ou comparables à ceux associés avec de nombreuses activités industrielles actuelles.

Il serait naïf d’imaginer que la nanotechnologie évoluera sans présenter aucun risque pour notre environnement ou notre santé. Alors qu’il serait aussi irresponsable qu’irréaliste de tenter de mettre un frein au développement de technologies inspirées des nanomatériaux, le développement responsable de ces technologies exige vigilance et engagement social.

Une nanotechnologie sûre pour l’environnement aura un coût en termes de temps, d’argent et de capital politique. Mais avec un peu de vision et d’attention, la nanotechnologie pourra se développer de manière à améliorer notre bien-être et celui de notre planète.

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