L’essor de la tuberculose pharmacorésistante

BALTIMORE – La tuberculose, l’une des maladies infectieuses les plus mortelles, fait un retour en force, notamment en Afrique. La tuberculose ultra-résistante (XDR-TB) est une souche de tuberculose difficile à traiter qui attaque là où les systèmes de santé sont traditionnellement faibles, surtout dans les zones très touchées par le VIH. L’échec à contenir les épidémies locales, à développer des outils et des stratégies pour identifier et traiter la XDR-TB, et à investir dans des améliorations sur le plus long terme du contrôle de la tuberculose pourrait transformer nos médicaments miracles contre la tuberculose en tirs à blanc.

Le développement de la chimiothérapie pour traiter la tuberculose, des années 1940 aux années 1970, a transformé l’ancienne “peste blanche” en maladie possible à soigner. Mais le traitement de la tuberculose est menacé par le spectre de la résistance aux médicaments depuis le début de l’ère des antibiotiques. Il y a quinze ans, une épidémie de tuberculose multi-résistante (MDR-TB) à New York a failli déclencher une panique, avant qu’une injection massive de fonds dans l’infrastructure de santé publique ne renverse la vapeur aux États-Unis, et que l’intérêt du public ne décline. Pourtant, le problème de la résistance aux médicaments a persisté, et les tentatives de la contenir au niveau mondial n’ont pas suffi.

Bienvenue dans l’univers de la XDR-TB. L’Organisation mondiale de la santé estime qu’il y a eu 425 000 nouveaux cas de MDR-TB en 2004, dont plus de 60 % en Chine, en Inde et en Russie. Mais c’est une épidémie massive de XDR-TB chez des patients infectés par le VIH au KwaZulu-Natal, en Afrique du Sud, qui a tourné tous les regards du monde vers le problème des organismes ultra-résistants.

Une étude conduite à l’hôpital Church of Scotland de la province rurale du KwaZulu-Natal a révélé que sur 535 patients atteints de la tuberculose, 221 étaient atteints par la MDR-TB, soit un niveau 10 fois supérieur à l’ensemble de la province. Plus inquiétant encore, 53 de ces 221 patients étaient atteints par une souche qui résistait aussi aux deux classes les plus cliniquement utiles d’antituberculeux mineurs. Cinquante-deux sur les 53 sont morts dans les 16 jours après le prélèvement d’expectoration. Le typage moléculaire des isolats a indiqué que 85 % étaient clonalement apparentés, ce qui suggère une transmission épidémique des souches de XDR, sans doute dans des cliniques spécialisées en HIV et dans les hôpitaux.

Comment cette épidémie locale de XDR-TB s’est-elle déclenchée ? Y a-t-il des accès similaires et localisés ailleurs, et qui n’auraient pas été reconnus ? Mais surtout, peut-on contrôler la XDR-TB ? La résistance aux antituberculeux provient de la sélection de mutants naturellement pharmacorésistants. Une mauvaise application du traitement thérapeutique, des prescriptions inappropriées par les cliniciens et l’interaction entre médicaments, ou encore la malabsorption peuvent provoquer une suppression partielle de la pousse bactérienne et l’émergence d’organismes résistants. Une fois que cette résistance se développe, le traitement est compromis, une plus grande résistance peut se développer et les organismes résistants peuvent se transmettre à d’autres personnes, menant à une pharmacorésistance d’emblée qui peut échouer à réagir aux thérapies standard.

Un traitement efficace et la guérison de la MDR-TB demande un recours prolongé (généralement deux ans) à une association de médicaments, comprenant des antituberculeux mineurs qui, pour la plupart, sont moins puissants que des antituberculeux majeurs, plus toxiques, voire les deux à la fois. Un programme mondial (appelé DOTS-Plus) visant à traiter les patients atteints de MDR-TB dans des conditions strictes est en cours depuis six ans, et touche des milliers de personnes atteintes d’une tuberculose jusque-là insoignable. L’inévitable émergence d’une plus grande pharmacorésistance est une conséquence malheureuse du traitement de la MDR-TB avec des antituberculeux mineurs. Si les même facteurs que ceux qui produisent la MDR-TB restent en jeu, alors la MDR-TB devient la XDR-TB.

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Il n’y a pas de médicament miracle pour contrôler la XDR-TB. Le fait de s’occuper de la tuberculose pharmacorésistante ne doit pas être différencié des efforts globaux de contrôle de la tuberculose. En outre, les stratégies de contrôle de la tuberculose visant des populations lourdement marquées par le VIH sont cruciales. Elles comprennent la mise en œuvre à grande échelle de thérapies prophylactiques de la TB à l’aide d’isoniazide – qui est largement sous-utilisé, malgré son coût modeste et son efficacité prouvée – et une meilleure détection chez les personnes infectées par le VIH, dont beaucoup meurent de la tuberculose sans avoir été diagnostiquées. Il convient aussi de prêter attention au contrôle des infections en hôpital et en clinique : beaucoup des cas de XDR-TB en Afrique du Sud ont été contractés dans des hôpitaux ou des cliniques de traitement du HIV. L’accès aux soins du HIV, y compris les ARV, est aussi nécessaire de toute urgence, et réduire l’incidence du VIH réduirait de façon substantielle le fardeau de la TB à plus long terme. En outre, il faut renforcer la capacité de diagnostiquer la TB et la pharmacorésistance rapidement et en laboratoire. Cela demandera un développement des infrastructures, ainsi que des systèmes fiables pour s’approvisionner, entretenir les équipements, former et conserver le personnel.

Une meilleure surveillance est aussi nécessaire. Le Global Project on Anti-Tuberculosis Drug Resistance Surveillance a recueilli des renseignements sur la fréquence, les structures et les tendances de pharmacorésistance depuis 1994, en se concentrant sur la résistance aux antituberculeux majeurs, contribuant ainsi à nous faire bien mieux comprendre la MDR-TB. Mais la surveillance pour la XDR-TB a été plus limitée, car l’étude de sensibilité pour les antituberculeux mineurs n’est pas bien standardisée, elle est mal reproductible pour certains médicaments, et peu de pays s’adonnent à de telles études dans le contexte de leur programme national de lutte contre la tuberculose.

Les priorités de la surveillance de la XDR-TB sont de faciliter l’accès à des études de sensibilité fiables pour les antituberculeux mineurs, et d’incorporer ces études, ainsi que les informations sur les études du VIH, dans les activités de surveillance de la TB existantes.

Enfin, et surtout, on ne peut trop souligner l’importance d’un plaidoyer efficace pour une réaction plus vigoureuse à l’épidémie mondiale de tuberculose. Cela comprend la promotion de nouvelles lignes de traitements qui peuvent améliorer la portée des schémas d’antituberculeux majeurs, raccourcissant ainsi la durée du traitement et empêchant l’émergence d’une résistance d’emblée. Mais de nouveaux médicaments ne suffiront pas. Bien au contraire, les introduire dans des cadres où l’observance du traitement n’est pas assurée et où les études de sensibilité des médicaments ne sont pas disponibles contribuerait sûrement à créer des organismes encore plus résistants.

Enfin, il faut consolider les systèmes de santé pour permettre aux professionnels de détecter la tuberculose chez certaines communautés à l’aide d’épreuves diagnostiques plus sensibles et spécifiques, de traiter la tuberculose en fonction de la classe de l’organisme avec les médicaments les plus puissants et les plus récents, et prévenir la TB parmi les populations à risque. Ces démarches pourraient bien garantir que la XDR-TB n’engloutira pas les avancées du dernier siècle dans la lutte mondiale contre la tuberculose.

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