Un travail décent pour tous est un impératif

NEW-YORK –  Depuis 10 ans, le chômage a augmenté jusqu'à toucher prés de 190 millions de personnes à travers la planète. Ce chiffre ne traduit qu'une partie du problème, puisque 80% des emplois dans le monde sont dans le secteur informel, sans indemnité chômage ou une quelconque forme de protection sociale. 43,5%  des travailleurs (1,3 milliards de personnes) gagnent moins de 2 dollars par jour – la limite de la pauvreté - pour eux-mêmes et leur famille. Ce chiffre va sans doute être revu à la hausse par la toute dernière évaluation de la Banque mondiale.

Manifestement, la croissance de l'économie mondiale de ces dernières décennies (y compris les cinq dernières années au cours desquelles beaucoup de pays en développement ont connu une croissance importante) n'a pas suffit à créer assez d'emplois de qualité. Les politiques économiques et sociales des différents pays n'ont pas suffi à compenser ce manque.

Au-delà du nombre croissant de chômeurs à temps plein ou à temps partiel, leurs conditions de vie se sont dégradées dans presque tous les pays, notamment pour les moins qualifiés et les moins éduqués d'entre eux. Globalement, le travail temporaire, les délocalisations et la sous-traitance deviennent la norme, ce qui diminue les droits des travailleurs et accroît l'insécurité de l'emploi.

Selon un rapport récent des Nations unies ( The Employment Imperative: Report on the World Social Situation [L'impératif de l'emploi : rapport sur la situation sociale au niveau mondial]), les politiques nationales destinées à combattre cette évolution et à diminuer le chômage ont pour l'essentiel échoué. Il montre que voulant rester ou devenir plus compétitif, les gouvernements et les employeurs prennent des mesures pour augmenter la flexibilité du marché du travail - avec comme résultat une plus grande insécurité financière et davantage d'inégalités, sans véritable succès dans la lutte contre le chômage, contrairement aux promesses faites.

Elément inquiétant, le secteur des services représentait 42,7% du chômage en 2007, bien plus que l'agriculture (34,9%) ou l'industrie (22,4%). Beaucoup d'emplois dans ce secteur sont mal rétribués, précaires et sans dispositif formel de protection sociale.

En même temps, un nombre de plus en plus grand de chômeurs doit faire la preuve qu'ils "méritent" une aide, qui est allouée de plus en plus souvent de manière arbitraire, sous réserve de remplir certaines obligations. Autrement dit, les indemnités chômage ne constituent plus un droit social.

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Même si l'élaboration de politiques qui répondent à ces problèmes n'est pas chose facile, il est urgent de réagir autrement que par la rhétorique. Des efforts conjoints de la communauté internationale, des gouvernements et de la société civile, notamment le secteur privé, sont nécessaires pour résoudre le défi que représente le chômage au 21° siècle.

Il faut une coopération et une coordination au niveau international pour freiner la "course vers le bas" dans la concurrence pour attirer les investissements et remporter les marchés. Au niveau national, il faut réformer le système de protection sociale dans les pays développés et l'étendre dans les pays en voie de développement, de manière à accroître la sécurité financière des travailleurs tout en assurant plus de flexibilité au marché du travail.

Les gouvernements favorisent l'ouverture de comptes retraites et la souscription d'assurances santé ou d'assurances chômage individuels. Ces mesures sont souvent obligatoires ou encouragées par des incitations fiscales. Ces dispositifs individuels prenant une part de plus en plus importante dans les systèmes de protection sociale, il faut que les gouvernements assurent une couverture sociale adéquate à ceux qui ne peuvent bénéficier de ces dispositifs.

L'Organisation internationale du travail (OIT)  définit depuis 1999 des conditions de travail décentes comme correspondant à un emploi gratifiant, sûr, productif, sans danger  pour la santé et sans risque d'accident, correctement rétribué et garantissant la protection sociale des travailleurs et de leur famille. Un emploi décent suppose aussi l'égalité des chances et de traitement, ainsi que des possibilités d'évolution, tant au niveau personnel que collectif. Cela passe par la liberté des travailleurs d'exprimer leurs préoccupations, de s'organiser et de participer aux décisions qui touchent à leur existence.

En fin de compte, les gens jugeront les réformes en fonction de leurs conséquences sur leur propre vie. Un emploi décent et stable arrive sûrement en tête de leur préoccupation, aussi cela devrait-il se refléter dans les politiques nationales. Un emploi décent est le moyen le plus sûr pour les pauvres d'échapper à leur condition, aussi cela doit-il constituer une priorité de toute politique sérieuse visant à diminuer la pauvreté à long terme. Un emploi décent pour tous, ce n'est pas une option politique, mais un impératif.

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