La Russie entre la vieille Europe et la jeune Amérique

Depuis le début de la crise irakienne, la Russie a laissé la France mener la danse contre "l'unilatéralisme" américain à l'intérieur du Conseil de sécurité de l'ONU. De la même manière, le président Poutine s'est abstenu de se joindre au chancelier Schröder dans son opposition publique à toute action militaire contre Bagdad. Il a finalement décidé de ne pas soutenir les USA, mais il a échappé jusqu'à présent à la volée de bois vert que les Américains ont lancée en direction des dirigeants français et allemands. La finesse et la maturité de sa politique durant cette crise montrent que la Russie émerge de sa longue léthargie post-communiste pour prendre toute sa place dans un monde sur lequel s'exerce la prépondérance américaine.

Depuis le début de la crise, le président russe tient compte de l'image que les Américains ont de la Russie, qui est très différente de celle qu'ils ont de la France ou de l'Allemagne. L'empathie dont font preuve les USA à l'égard de la France et l'Allemagne date de la Guerre froide et n'a rien à voir avec leur circonspection envers la Russie post-soviétique. Si Poutine avait rejoint le chorus franco-allemand des sceptiques, la plus grande partie du capital de sympathie dont il dispose disparaîtrait et il ne resterait plus grand chose de la réputation de sérieux qu'il a laborieusement élaboré depuis qu'il est au pouvoir.

Mais les différences entre Paris et Berlin d'un coté et Moscou de l'autre sont plus profondes. La France ne s'intéresse pas seulement au pétrole irakien et la politique du chancelier allemand n'est pas dictée exclusivement par les sondages d'opinion (qu'il s'agisse de l'Irak ou plus généralement de son action politique). Tant pour la France que pour l'Allemagne, la crise irakienne est l'occasion de forger une politique non-alignée commune aux pays de l'Union européenne dans le domaine de la sécurité et de la politique étrangère.

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