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Réflexions sur la révolution en Égypte

NEW YORK – Les révolutions adviennent pour une raison. Dans le cas de l’Égypte, il y a plusieurs raisons : plus de 30 ans de la loi d’un seul homme ; le projet de Hosni Moubarak de transmettre la présidence à son fils ; la corruption, le clientélisme et le népotisme généralisés ; et une réforme économique qui n’a pas rejailli sur la plupart des Égyptiens, mais qui néanmoins contraste grandement avec l’absence presque totale de changement politique.

Le résultat final est que de nombreux Égyptiens se sont sentis non seulement exclus, mais aussi humiliés. L’humiliation est une puissante force de motivation. L’Égypte était mûre pour une révolution ; un profond changement aurait fini par arriver à un moment ou à un autre dans les années à venir, même sans l’étincelle tunisienne ou les médias sociaux.

En effet, les médias sociaux sont un facteur significatif, mais leur rôle a été exagéré. Ce n’est certainement pas la première technologie perturbatrice à avoir existé : l’imprimerie, le télégraphe, le téléphone, la radio, la télévision et les cassettes ont tous constitué des défis pour l’ordre existant de leur époque. Et tout comme ces précédentes technologies, les médias sociaux ne sont pas décisifs : ils peuvent être réprimés par les gouvernements aussi bien qu’utilisés par ces derniers pour motiver leurs partisans.  

Le sens de l’à-propos compte pour beaucoup en politique. La déclaration faite par Moubarak annonçant qu’il ne briguerait pas sa réélection aurait probablement évité une crise s’il l’avait faite en décembre. Mais, au moment où il l’a faite, l’humeur de la rue avait évolué de telle sorte qu’il ne pouvait plus l’apaiser.

Le succès initial des révolutions est moins déterminé par la force des manifestants que par la volonté et la cohésion du régime. La chute de la Tunisie s’est faite rapidement, parce que son président a perdu son sang froid et que l’armée était faible et peu disposée à se ranger à ses côtés. L’establishment et l’armée font montre d’une bien plus grande détermination en Égypte.

Le départ de Moubarak est un développement significatif mais pas décisif. Bien sûr, il referme le chapitre d’une très longue période dans la vie politique égyptienne. Il marque aussi la fin de la première phase de la révolution en Égypte. Mais cela n’est que la fin du commencement. Ce qui commence aujourd’hui est une lutte pour l’avenir de l’Égypte.

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L’objectif doit être de ralentir l’horloge politique. Les Égyptiens ont besoin de temps pour forger une société civile et élargir un spectre politique globalement limité depuis des décennies. Un gouvernement hybride d’intérim constitué d’éléments militaires et civils pourrait être la meilleure manière d’aller de l’avant. Ralentir l’horloge n’est pas l’arrêter, cependant. Une véritable transition politique a besoin d’avancer, même si à pas mesurés.

Il faudrait éviter d’organiser des élections trop rapidement, afin que ceux (tel les Frères Musulmans) qui ont su s’organiser au fil des ans ne bénéficient d’un avantage déloyal. Les Frères Musulmans devraient être autorisés à participer au processus politique à condition qu’ils acceptent la légitimité de ce processus, de l’autorité de la loi et de la constitution. L’histoire et la culture politique de l’Égypte suggèrent que l’attrait des Frères Musulmans sera naturellement limité si les Égyptiens parviennent à réconcilier leurs plus importantes différences, à maintenir l’ordre et à restaurer la croissance économique.

Une réforme constitutionnelle est absolument nécessaire. L’Égypte a besoin d’une constitution qui réunisse un large soutien – et qui comprenne un système d’équilibre des pouvoirs rendant difficile pour les minorités (même celles qui se prévalent du soutien d’une pluralité de votants) de gouverner les majorités.

Les mouvements révolutionnaires se divisent invariablement en factions. Leur unique objectif commun est de se débarrasser du régime en place. Aussitôt que cet objectif est sur le point d’être atteint, les éléments de l’opposition commencent à se positionner pour la seconde phase de la lutte et la compétition à venir pour le pouvoir. Nous voyons déjà des signes de cela en Égypte, qui seront suivis d’autres dans les jours et les semaines à venir.

Certains en Égypte ne se satisferont que d’une démocratie totale ; d’autres (probablement une majorité) préfèreront se concentrer sur l’ordre public, un plus grand sens des responsabilités officielles, un degré de participation politique et une amélioration économique. Il n’est jamais possible de satisfaire les demandes de tous les manifestants, et les régimes ne devraient pas s’y essayer.

L’Égypte devra faire face à d’énormes difficultés économiques, exacerbées par les récents évènements qui ont fait fuir les touristes, dissuadé l’investissement, et empêché beaucoup de travailler. Les défis posés par une population à forte croissance, le manque d’éducation et de travail, la corruption, la bureaucratie, et la concurrence globale grandissante constituent les plus grandes menaces pour l’avenir du pays.

Les étrangers n’ont eu et n’auront qu’une influence limitée sur le cours des évènements. Au cours des 30 dernières années, les appels formulés par intermittence par les Etats-Unis pour une réforme politique limitée ont été largement ignorés. Une fois la crise débutée, la population dans la rue, Moubarak lui-même, et surtout l’armée, ont été les principaux protagonistes. En allant de l’avant, ce seront encore une fois les Égyptiens qui détermineront pour une grande part leur propre chemin.  

En ce sens, les étrangers devraient se garder de trop intervenir, surtout en public. Il revient aux Égyptiens de définir par eux-mêmes le type et l’envergure de la démocratie qu’ils veulent installer. Les étrangers peuvent contribuer leur aide – par exemple, avec des idées sur la réforme constitutionnelle ou les procédures électorales – mais cela devra être fait en privé et sous la forme de suggestions, et non d’exigences.

Les développements en Égypte auront des conséquences diverses dans la région. Tous les pays ne seront pas affectés de la même manière. Les vraies monarchies, comme la Jordanie, ont une légitimité et une stabilité dont ne disposent ni les dirigeants des fausses monarchies (Syrie, Libye, et Yémen) ni le régime iranien. Beaucoup de choses dépendront de ce qui va transpirer et comment.

Le changement en Irak avait été imposé depuis l’extérieur par la force, alors que le changement en Égypte est venu de l’intérieur et a largement été obtenu par consentement plutôt que par coercition. Mais il est trop tôt pour savoir si ce changement en Égypte sera profond et durable, encore moins positif, et donc trop tôt pour évaluer son impact historique.  

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