Saudi crown prince Mohammad-bin-Salman Anadolu Agency/Getty Images

Les nouveaux habits du Prince héritier

PARIS – En juin dernier, Bahreïn, l'Égypte, la Libye, les Maldives, l'Arabie saoudite, les Émirats Arabes Unis et le Yémen ont interrompu leurs relations économiques et diplomatiques avec le Qatar. Cette crise du Golfe va prendre fin d'une manière ou d'une autre. Mais nul ne sait dire encore si cet effet sera bon pour le chef de l'instigateur de la crise, le Prince Mohammed ben Salman d'Arabie saoudite (MBS).

Une solution extrême mais peu probable à la crise pourrait prendre la forme d'un changement de régime imposé par la force armée, où l'Émir du Qatar, le Cheikh Tamim ben Hamad Al-Thani, serait remplacé par un membre plus souple de la famille Al-Thani. Dans un scénario plus probable, le Qatar pourrait cesser de donner asile à quelques membres des Frères musulmans et du Hamas et discrètement promettre de mettre un frein à Al Jazeera, son réseau de télévision financé par l'État, qui diffuse dans toute la région.

Dans le dernier scénario, les diplomates du Koweït et d'Oman, qui sont des médiateurs dans ce différend, se présenteraient comme des pacificateurs et MBS pourrait prétendre au titre d'homme d'État. Les gouvernements occidentaux inquiets des prix du pétrole et de l'avenir de la base aérienne américaine d'Al Udeid au Qatar seraient plus tranquilles, du moins jusqu'à la prochaine crise du Golfe. Mais si MBS continue de mener des politiques obstinées et si le Qatar continue d'utiliser sa richesse pétrolière pour boxer dans la catégorie supérieure à la sienne dans la politique régionale, une crise de ce genre risque de ne pas se faire attendre bien longtemps.

La dernière version de la querelle entre Saoudiens et Qatari n'est qu'un exemple parmi tant d'autres du « piège de Thucydide », dans lequel un prétendant à l'hégémon est tenté de supprimer un rival dont la puissance est proche de la sienne. L'Arabie saoudite compte environ 32 millions d'habitants, dont un tiers sont des travailleurs étrangers ; le Qatar compte seulement 2,6 millions d'habitants, dont 90 % sont des étrangers.

Au lieu de cela, au cœur du problème figure une conviction semi-paranoïaque répandue parmi les dirigeants arabes sunnites de l'Arabie Saoudite selon laquelle l'Iran (qui est surtout chiite et non arabe), est en lice pour le statut de superpuissance au Moyen-Orient. Les Saoudiens sont convaincus que le Qatar aide l'Iran dans cette quête, même si les dirigeants du Qatar partagent la version wahhabite de l'Islam des Saoudiens.

Bien sûr, l'Arabie saoudite a quelques bonnes raisons de se méfier. Après la Révolution iranienne de 1979, l'Ayatollah Ruhollah Khomeiny a prôné la révolution dans tout le monde musulman. Une génération plus tard, l'Iran a un pied en Irak, au Liban, en Syrie et au Yémen, où il aide les rebelles Houthi à perturber l'incursion inconsidérée de MBS dans ce pays. Et à présent que l'Arabie Saoudite a imposé un blocus sur le Qatar, l'Iran est venu à l'aide à ce pays, en lui livrant de la nourriture et en autorisant Qatar Airways à utiliser son espace aérien.

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Il convient de se demander si le MBS interprète mal les réalités politiques et économiques. Après avoir été investi de pouvoirs sans précédent comme fils préféré du roi Salman, a-t-il les yeux plus gros que le ventre ?

MBS est ministre de la Défense de l'Arabie saoudite depuis janvier 2015. Mais la guerre de l'Arabie saoudite au Yémen, qui dure maintenant depuis deux ans, est devenue une catastrophe humanitaire, avec un blocus naval qui a conduit à une famine généralisée et à 500 000 cas de choléra.

Pendant ce temps, dans la guerre civile en Syrie, les Saoudiens (et les Qataris), ont soutenu plusieurs groupes islamistes peu recommandables, mais n'ont toujours pas réussi à renverser le président syrien Bachar el-Assad. Dans l'équilibre du pouvoir de la région, l'alliance anti-Assad parrainée par l'Arabie saoudite (avec le soutien américain des États-Unis), est bien faible comparée à l'alliance conclue par le régime alaouite d'Assad affilié aux chiites avec l'Iran et la Russie.

MBS est confronté à des défis encore plus importants dans son pays. En tant qu'État pétrolier par excellence, l'Arabie saoudite a longtemps apaisé la population saoudienne par de fortes doses de dépenses sociales. Entre temps, ce pays a soutenu la loyauté en l'establishment du clergé wahhabite en gardant les changements sociaux à leur minimum. Mais comme les prix du pétrole restent relativement bas, le Royaume ne peut plus compter sur sa politique traditionnelle qui consistait à acheter ses amis et à soudoyer ses ennemis.

À son crédit, MBS reconnaît que les choses doivent changer. Les réserves financières de l'Arabie Saoudite diminuent et les plus jeunes Saoudiens, dont le nombre a quadruplé au cours des 30 dernières années, veulent davantage de liberté et ont besoin d'un emploi en dehors du secteur pétrolier. Pour résoudre ces problèmes, MBS a mis au point « Vision 2030 », un projet audacieux mais pas nécessairement réaliste visant à la diversification de l'économie, par la privatisation d'une partie de la compagnie pétrolière nationale Aramco et par le développement du secteur privé. En outre, MBS a apparemment un projet de création de centres touristiques hédonistes pour rivaliser avec ceux de Dubaï.

Étant donné les problèmes à l'étranger et les récriminations dans son pays, où certains membres de la famille royale saoudienne éprouvent du ressentiment à l'encontre de son ascension météorique, MBS doit maintenant prouver qu'il a la maturité et l'expérience d'un dirigeant. Sur ce plan, il pourrait bien bénéficier de l'aide d'une source improbable. Fin juillet, MBS a accueilli Muqtada al-Sadr, le chef de la plus puissante milice chiite, lors de sa première visite en Arabie Saoudite depuis 2006. Et plus tôt cette année, le Premier ministre irakien Haider al-Abadi a effectué une visite en Arabie Saoudite, juste après les voyages à Bagdad des ministres saoudiens des Affaires étrangère et de l'énergie.

Ces voyages, les premières délégations de ce genre entre les deux pays depuis des décennies, laissent penser que l'Irak et l'Arabie Saoudite pourraient forger de nouvelles relations mutuellement bénéfiques. Avec le resserrement des liens vers l'Arabie saoudite, les leaders irakiens pourraient se libérer de l'emprise autoritaire de l'Iran sur leur prise de décision, tirer parti de l'influence de l'Arabie saoudite sur les tribus sunnites en Irak et acquérir des investissements saoudiens pour reconstruire Mossoul après l'avoir repris à l'État islamique (EI).

L'Arabie saoudite, pour sa part, a tout à gagner à la réussite de l'Irak contre l'EI, l'ennemi juré de la Maison des Saoud et de son aide pour calmer l'opposition chiite dans la province orientale de l'Arabie Saoudite, riche en pétrole. Dans le même temps, l'ensemble du gouvernement serait en mesure de se présenter comme un penseur stratégique capable de combler le fossé entre Arabes et de limiter l'influence iranienne dans la région.

Pourtant de nombreuses questions restent sans réponses. Il est difficile de déterminer quand l'opération désastreuse au Yémen prendra fin, ou si l'Iran et la Turquie vont continuer de miner le blocus sur le Qatar. Et il reste à voir si le Qatar va laisser tomber les demandes de l'Arabie Saoudite et des autres États du Golfe, en particulier l'appel à la fermeture d'Al Jazeera.

Dans tous les cas, aucune de ces évolutions ne semble imminente, de sorte que le prince âgé de 31 ans va devoir apprendre à tempérer son impétuosité. Comme le dit le proverbe arabe, la patience est la clé du bonheur.

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