Melting Glacier_Illulissat Greenland_UN Photo_Mark Garten UN Photo/Mark Garten

Notre dernière chance pour une planète sûre

MELBOURNE – L’humanité a peut-être trop tardé à réagir au changement climatique. Les chercheurs scientifiques ont bien indiqué qu’une augmentation des températures de 2º Celsius par rapport aux niveaux préindustriels placerait la Terre dans une dangereuse posture, en territoire inconnu. Il est pourtant question aujourd’hui d’une augmentation des températures d’au moins 4º au cours de ce siècle. Il nous reste une dernière chance pour agir.

Cette chance repose sur Paris, où les chefs de gouvernements de la planète se réuniront en décembre 2015 pour le 21ème sommet de l’ONU sur le changement climatique. Mais ce sera différent cette fois. Soit les gouvernements conviendront d’une action décisive, comme ils l’ont promis, soit nous nous souviendrons de 2015 comme l’année ou nous aurons laissé échapper notre bons sens climatique.

En 1992, les gouvernements du monde avaient adopté la Convention cadre de l’ONU sur le changement climatique, promettant d’éviter « toute interférence anthropogénique (induite par l’homme) dans le système climatique en limitant le taux d’émissions de gaz à effet de serre, surtout de dioxyde de carbone. Mais, malgré l’entrée en vigueur du traité en 1994, le taux des émissions de gaz à effet de serre, y compris celui du CO2, a effectivement augmenté.

En 1992, la combustion planétaire de charbon, de pétrole et de gaz, ajoutée à la production de ciment, a libéré 22,6 milliards de tonnes de CO2 dans l’atmosphère. En 2012, la dernière année pour laquelle des données comparables sont disponibles, les émissions étaient de 34,5 milliards de tonnes. L’humanité a donc accéléré, plutôt que contrôlé, le changement climatique induit par l’homme.

Cette question du changement climatique est aujourd’hui la plus grande question morale de notre époque. L’usage global de combustibles fossiles menace gravement les pauvres, qui sont les plus vulnérables au changement climatique (dont les riches sont la principale cause,) et les générations futures qui hériteront d’une planète qui sera devenue invivable dans de nombreux endroits, et dont l’approvisionnement alimentaire connaîtra de nombreux chocs.

Nous provoquons ces nuisances à une époque où les percées technologiques permettent au monde d’abandonner les combustibles fossiles dangereux pour évoluer vers des sources d’énergie faibles en carbone comme le vent, le solaire, le nucléaire, et l’hydraulique, et de réduire l’impact des combustibles fossiles par une technologie de captation et de stockage du carbone (CSC). Le pape François a récemment parlé de la notion de « préservation de la Création, » à ce propos, « parce que si nous détruisons la Création, la Création nous détruira ! N’oubliez jamais cela ! »

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Et pourtant, pour le grand nombre de puissants intérêts, le changement climatique reste un jeu, dont l’objectif est de retarder toute action aussi longtemps que possible. Les géants de l’industrie continuent leur lobbying en coulisses contre l’adoption d’énergies à faibles émissions de carbone, et ont utilisé leur immense richesse pour s’offrir une couverture médiatique visant à semer la confusion. L’empire médiatique de Rupert Murdoch aux Etats-Unis, au Royaume Uni, en Australie et ailleurs, se singularise en jouant un rôle particulièrement cynique et dangereux dans la diffusion de propagande anti-scientifique.

La politique du changement climatique pourrait malgré cela changer dans le bon sens – un changement que reflète le puissant message du pape. Voici six raisons qui pourraient expliquer la proche fin de l’impasse.

D’abord, le monde prend conscience de la calamité que nous sommes en train de causer. La machine à propagande de Murdock peut chaque jours débiter ses flots de mensonges anti-scientifiques, mais l’opinion elle, constate les sécheresses prolongées (maintenant dans certaines régions du Brésil, de la Californie et de l’Asie du sud-est, pour n’en citer que quelques unes), les inondations massives (dernièrement en Bosnie et en Serbie) et les vagues de chaleur caniculaire (en de nombreux points du monde).

Deuxièmement, les citoyens du monde ne veulent pas disparaître. L’opinion publique est jusqu’à présent parvenue à bloquer la construction du pipeline Keystone XL, qui contribuerait à accélérer la production des sables bitumineux canadiens – une perspective choquante dans la mesure où ni le Canada ni les Etats-Unis ne se sont engagés dans un projet climatique.  

Troisièmement, il faut s’attendre à de graves chocs climatiques. Il se peut que El Niño, phénomène climatique résultant du réchauffement des eaux du Pacifique occidental qui crée des perturbations dans le climat de la planète, soit particulièrement puissant cette année. Une manifestation forte d’El Niño serait même beaucoup plus dangereuse que d’habitude, parce qu’elle s’ajouterait à des tendances générales en hausse des températures globales. En effet, de nombreux scientifiques estiment qu’un épisode fort d’El Niño pourrait faire de 2015 l’année la plus chaude de l’histoire de la planète.

Quatrièmement, les Etats-Unis et la Chine, les deux plus importants émetteurs de CO2, commencent à peine à prendre la chose au sérieux. L’administration du président Barack Obama tente d’interrompre la construction de nouvelles centrales au charbon, à moins qu’elles ne soient équipées de technologie CSC. La Chine a pour sa part réalisé que sa lourde dépendance sur le charbon crée une pollution et un smog dévastateurs, cause de nombreux décès, et d’une réduction de l’espérance de vie qui peut aller jusqu’à cinq ans dans les régions fortement consommatrices de charbon.

Cinquièmement, les négociations de Paris sont enfin parvenues à attirer l’attention à la fois des opinions publiques et des responsables mondiaux. Le Secrétaire général de l’ONU, Monsieur Ban Ki-moon, a demandé aux dirigeants politiques d’assister à un sommet spécial en septembre 2014, soit 14 mois avant la conférence de Paris, pour intensifier les négociations. Le réseau d’experts de l’ONU que je dirige, le Sustainable Development Solutions Network (UN SDSN), publiera un rapport substantiel en juillet sur la manière selon laquelle les principales économies mondiales peuvent réduire les émissions de carbone dans leur systèmes énergétiques.

Enfin, les avancées technologiques en matière de systèmes énergétiques à faibles émissions de carbone, y compris le photovoltaïque, les véhicules électriques, les systèmes de captation et de stockage du carbone (CSC) et les centrales nucléaires de quatrième génération dont les caractéristiques de sécurité ont été largement améliorées, contribuent toutes à la transition vers une énergie technologiquement réaliste à coût et à émissions de carbone réduits, avec de considérables bénéfices pour la santé de l’homme et la sécurité de la planète.

Dès l’automne prochain, le UN SDSN créera une plateforme invitant tous les citoyens du monde à participer à cette dure tache que représente la sauvegarde de la planète. Le SDSN proposera une formation initiale gratuite en ligne sur le changement climatique, et animera, toujours en ligne, une « négociation » internationale pour un accord global sur le climat.

Nous espérons que des centaines de milliers, et peut-être même, des millions de citoyens concernés partout dans le monde participeront à cette aventure en ligne, montrant la voie aux responsables politiques. Le contrôle du changement climatique est un impératif moral et une nécessité pratique – bien trop grave pour être laissé aux seules mains des politiques, des géants pétroliers, et de leurs soutiens médiatiques propagandistes.

Traduit de l’anglais par Frédérique Destribats

https://prosyn.org/JO5WMPVfr