Une Bulle immobiliére ?

Partout dans le monde, la presse parle d'une « bulle immobilière » sur le point d'éclater. The Economist a publié de nombreux articles appelant à la prudence avec des titres de ce genre : « Castles in Hot Air » (Châteaux de cartes). « Housing Prices Soar, Fueling Bubble Fears » (Les prix de l'immobilier grimpent, alimentant les craintes d'une bulle) ajoutait le Wall Street Journal . « The Property Bubble Menaces Growth » (La bulle immobilière menace la croissance) prévenait Le Monde . « Homes Bubble May go Toxic » (La bulle immobilière pourrait se révéler dangereuse) ajoutait le Sydney Morning Herald .

Ces craintes sont-elles justifiées ? Comment savoir si le marché de l'immobilier est dans une bulle ?

Le terme « bulle » est souvent utilisé mais rarement précisé. Une bulle se produit quand les anticipations en matière d'augmentations des prix à venir sont exagérées par les particuliers, faisant ainsi monter les prix vers des niveaux insoutenables. Quand cela se produit, nombreux sont ceux qui achètent pour louer, jouant ainsi le rôle d'investisseurs dans l'immobilier, et d'autres achètent pour se loger, jouant eux aussi le rôle d'investisseurs, craignant qu'une attente trop prolongée ne les chasse du marché.

Pendant la bulle, les acheteurs sont rarement découragés par la hausse des prix puisqu'ils s'attendent à ce que des prix encore plus élevés viennent compenser leurs dépenses. Si les anticipations en matière d'augmentation rapide et régulière des prix sont des facteurs de motivation importants, alors le niveau des prix est instable en lui-même parce que les prix ne peuvent pas toujours grimper. La bulle finira par éclater et les prix retomber.

On peut voir au moins l'un des aspects d'une bulle immobilière : l'augmentation rapide des prix. Une augmentation subite des prix de l'immobilier affecte la plupart des pays industrialisés depuis 2000, sauf l'Allemagne et le Japon.

Mais la question clé reste de savoir si les anticipations d'importantes augmentations des prix de l'immobilier soutiennent le marché. Si le rapport entre le revenu moyen et le coût de l'immobilier reste stable, alors les concepts de base de l'économie peuvent expliquer les prix.

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L'augmentation des prix dans l'immobilier pendant les années 1980 est maintenant considéré comme le véritable modèle d'un boom immobilier qui a mal tourné : un schéma d'augmentations des prix brutales qui atteint son sommet en 1990, suivi du déclin dans des villes telles que Boston et Los Angeles, Londres, Sydney et Tokyo. Cela contribua à de graves récessions régionales. L'augmentation actuelle des prix sera-t-elle suivi d'un effondrement similaire ou même pire ?

Les preuves d'une bulle immobilière dans les années 1980 étaient flagrantes. Les acheteurs étaient influencés par de fortes anticipations d'augmentations des prix à venir et considéraient que les risques étaient minimes. Les réponses à un sondage que mon collègue Karl Case et moi-même avons mené en 1988 pendant le boom américain révéla que la simple transmission par bouche-à-oreille d'un enthousiasme émotionnel joua un grand rôle dans les prises de décision d'achat. De plus, aucun acheteur n'était d'accord sur l'origine des fluctuations de prix récentes ou sur une analyse convaincante des phénomènes de base.

Il y a quelques mois, nous avons mené un autre sondage parmi les accédants à la propriété américains ayant acheté leur propriété entre mars et août 2002. Pour la plupart, l'investissement représentait soit « une part importante », soit « en partie » du moins la raison de leur achat. Pourtant, il y avait bien moins d'acheteurs en 2003 qui déclaraient acheter « strictement dans le but d'investir » qu'en 1988. Ainsi, les conditions semblent s'accorder au modèle de la bulle, mais bien moins que dans les années 1980.

Les États-Unis ne sont pas les seuls touchés. En Europe, le rapport moyen des prix de l'immobilier et des salaires est légèrement inférieur à sa moyenne à long terme, principalement parce que les prix de l'immobilier en Allemagne sont à leur plus bas niveau historique selon cette mesure. En France, en Italie et en Belgique, ce ratio est proche de sa moyenne à long terme, et en Espagne, aux Pays-Bas et en Irlande, il est à 40-50% au-dessus. L'Australie, aussi, est proche du niveau atteint lors des crashs précédents.

Ce sont là des moyennes valables sur l'ensemble de certains pays, mais certaines régions sont plus surévaluées que d'autres. Ceci est probablement le cas des « villes de prestige » où se retrouvent les célébrités internationales, les industries du divertissement, les universités de renommée internationale et les industries de haute technologie. Le coût de l'immobilier dans ces villes est élevé et volatile.

Les sondages de 1988 et 2003 montraient que la question principale reste le rôle que jouent les anticipations en matière de prix. Dans le cas des deux booms immobiliers, près de 90% des sondés américains s'attendaient à une augmentation des prix de l'immobilier dans les années à venir, avec de grosses augmentations anticipées dans les 12 mois qui suivaient, dépassant les 15% à San Francisco en 2003. Les anticipations à long terme étaient pratiquement aussi élevées.

De fait, la transmission par bouche-à-oreille de l'enthousiasme pour les prix de l'immobilier est quasi aussi important aujourd'hui qu'elle ne l'était en 1988. Dans les « villes de prestige », les articles de presse proposent des récits de logements vendus bien au-dessus du prix du marché et 45% des sondés du sondage de 2003 confirment avoir vendu au-dessus des prix du marché à San Francisco. Plus de 20% des vendeurs de tous les marchés sondés pensaient que leur propriété se serait = vendue aussi rapidement s'ils avaient majoré le prix de 5 ou 10%.

Le sondage de 2003 indique également que les accédants à la propriété américains n'ont pas autant confiance dans les prix de l'immobilier aujourd'hui qu'avant l'éclatement de la bulle en 1980. Cela pourrait bien indiquer que les acheteurs ne laisseront pas les prix grimper comme par le passé, mais cela pourrait également indiquer que les propriétaires seront mieux préparés à sortir du marché. Cela pourrait amplifier toute baisse des prix, particulièrement dans les « villes de prestiges » et dans les économies en perte de vitesse.

Les conséquences pourraient être graves, et pas seulement aux États-Unis où 21% des prêts immobiliers l'an dernier furent accordés à plus de 90% pour l'achat d'une maison, en augmentation de 7% par rapport aux sommets atteints à la fin des années 1980. L'endettement des foyers australiens a connu une augmentation brutale au cours des dix dernières années, passant de 55% à 130% des revenus personnels des particuliers. Il a presque doublé, à 180%, aux Pays-Bas, où les prêts immobiliers représentent en moyenne 110% de la valeur immobilière parce que les bailleurs de fonds financent également le coût de la transaction.

Si l'on en juge par le passé, la baisse du coût de l'immobilier tend à rester relativement locale, et des baisses nationales sont peu probables. Cela devrait émousser l'impact macroéconomique de l'éclatement des bulles. La mauvaise nouvelle, cependant, reste que l'augmentation de l'endettement des ménages laissera de nombreux foyers avec des remboursements supérieurs à la valeur de leur logement, ce qui entraînera une augmentation des faillites personnelles.

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