Scénario optimiste pour l’euro

CAMBRIDGE – Les perspectives demeurent aujourd’hui encore incertaines quant à l’avenir de l’euro et de la zone euro. Néanmoins, les événements récemment observés à la Banque centrale européenne, en Allemagne, ainsi que sur les marchés financiers mondiaux, pourraient nous permettre d’envisager la possibilité d’un scénario favorable au futur de la monnaie unique.

La BCE a promis de racheter les obligations souveraines italiennes et espagnoles afin de maintenir aussi bas que possible leurs taux d’intérêt, à condition que ces États sollicitent des lignes de crédit auprès du Mécanisme européen de stabilité, et adhèrent aux réformes fiscales convenues. La Cour constitutionnelle allemande a approuvé la participation du pays au MES, et la chancelière Angela Merkel a donné sa bénédiction au plan d’achat d’obligations de la BCE, malgré de fortes objections publiques de la part de la Bundesbank. Le marché obligataire international a quant à lui exprimé son approbation en réduisant à 4,8% les taux d’intérêt sur les obligations italiennes à dix ans, et à 5,5% pour l’Espagne.

Les taux obligataires italiens avaient déjà diminué avant l’annonce du président de la BCE, Mario Draghi, concernant les plans d’achat d’obligations sous conditions. Ceci avait reflété les progrès substantiels accomplis par le gouvernement du Premier ministre italien Mario Monti. La nouvelle législation s’apprête à ralentir sensiblement l’augmentation des prestations de retraite, tandis que l’augmentation de l’imposition sur les biens immobiliers occupés par leur propriétaire, décidée par le gouvernement Monti, est vouée à engendrer des recettes importantes sans les effets incitatifs négatifs qui se produiraient en cas d’augmentation des taux relatifs au revenu personnel, aux salaires, ou encore des taxes sur la valeur ajoutée.

En considération de ces réformes, le Fonds monétaire international a récemment prévu que l’Italie présenterait en 2013 un excédent budgétaire de près d’1% du PIB, corrigé des variations conjoncturelles. Malheureusement, étant donné que l’Italie sera encore en récession l’an prochain, son déficit réel devrait atteindre 1,8% du PIB, ajoutant à la dette nationale. Néanmoins, la reprise économique arrivera bel et bien en Italie, orientant le budget vers l’excédent.

Une fois que les marchés auront connaissance de cela, ils mèneront encore davantage à la baisse les taux d’intérêt souverains de l’Italie. Compte tenu du caractère considérable de la dette nationale italienne, les paiements d’intérêts ajoutent plus de 5% du PIB au déficit budgétaire. La combinaison d’une reprise économique et d’un plus faible niveau des taux d’intérêts pourrait engendrer une dynamique vertueuse dans laquelle des taux d’intérêt en baisse et un excédent budgétaire en hausse se renforcent mutuellement.

La situation de l’Espagne n’est pas aussi favorable. Malgré la réduction des dépenses publiques et l’augmentation des impôts, le FMI prévoit pour 2013 un déficit budgétaire corrigé des variations conjoncturelles supérieur à 3,2% du PIB, lequel devrait s’élever à 2,3% du PIB en 2015. La clé du remède aux difficultés budgétaires de l’Espagne réside dans une transmission du fardeau financier vers Madrid de la part des régions semi-autonomes qui génèrent des dépenses. Peut-être les succès italiens contribueront-ils à convaincre l’Espagne d’adopter des mesures rigoureuses permettant de réduire les futurs déficits prévus sans davantage d’austérité.

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Si l’Italie et l’Espagne présentent des excédents budgétaires et voient diminuer leur ratio dette/PIB, les marchés financiers abaisseront les taux d’intérêt sur leurs obligations sans besoin des rachats proposés par la BCE. Ceci permettrait d’écarter le risque sérieux de voir la BCE commencer à acquérir des obligations sur la base des plans de relance budgétaire adoptés, pour ensuite être contrainte de réagir dans le cas où les gouvernements échouaient à les mettre en application.

Rien de tout cela ne suffirait à sauver la Grèce, dont le déficit budgétaire s’élève à 7,5% du PIB, ni le Portugal, où celui-ci atteint 5% du PIB. Néanmoins, si l’Italie et l’Espagne parviennent à échapper à un risque de défaut, ainsi qu’à la menace d’un abandon de l’euro, l’Allemagne et les autres dirigeants de la zone euro bénéficieront d’une marge de manœuvre pour décider soit de continuer à financer ces très petits États, soit de les inviter cordialement à renoncer à l’euro pour retourner à leur monnaie nationale.

Par ailleurs, même dans le cas d’un tel scénario optimiste, le problème des déficits de compte courant de l’Italie, de l’Espagne, et des autres États périphériques demeurera. Les différences entre les pays de la zone euro en termes de taux de croissance de la productivité et des salaires continueront d’entraîner des disparités dans la compétitivité internationale, entraînant des déséquilibres en termes d’échanges commerciaux et de comptes courants. L’Allemagne présente aujourd’hui un excédent de compte courant de l’ordre de 215 milliards $ par an, tandis que le reste de la zone euro connaît un déficit de compte courant de près de 140 milliards $.

L’Italie, l’Espagne et la France présentent toutes un déficit courant égal ou supérieur à 2% de leur PIB. À mesure que ces États se libèreront de leur récession cyclique, les revenus augmenteront, conduisant ainsi à une augmentation des importations et à des déficits courants encore plus importants. Il est nécessaire que ces déficits soient financés par des entrées nettes de capitaux en provenance de pays extérieurs.

Si l’Italie, l’Espagne et la France ne faisaient pas partie de la zone euro, elles pourraient se permettre de dévaluer leur monnaie ; des taux de change plus faibles augmenteraient alors les exportations et réduiraient les importations, balayant ainsi leur déficit courant. De plus, l’augmentation des exportations et le passage des importations à des biens et services produits à l’intérieur du pays renforceraient leur économie, réduisant ainsi leur déficit budgétaire à mesure d’une augmentation des recettes fiscales et d’une réduction des transferts. De même, une économie plus forte serait bénéfique aux banques nationales du fait de la réduction des éventuelles créances douteuses et autres défauts de paiement.

Cependant, l’Italie, l’Espagne et la France font bien évidemment partie de la zone euro, et ne peuvent par conséquent procéder à une telle dévaluation. C’est la raison pour laquelle je pense que ces États – et plus généralement la zone euro – pourraient bénéficier d’une dépréciation de l’euro. Bien qu’un euro plus faible ne puisse améliorer la compétitivité de ces États par rapport à l’Allemagne et aux autres membres de la zone euro, il permettrait de renforcer cette compétitivité par rapport à tous les pays extérieurs à la zone euro.

Si l’euro baissait de 20 à 25%, se rapprochant d’une parité avec le dollar et s’affaiblissant dans une mesure similaire par rapport aux autres monnaies, les déficits courants de l’Italie, de l’Espagne et de la France diminueraient, et l’économie de ces États s’en trouverait renforcée. Les exportations allemandes bénéficieraient également d’un euro plus faible, qui boosterait la demande économique globale en Allemagne.

Il y a une certaine ironie à constater que la proposition par la BCE d’acquérir les dettes italiennes et espagnoles ait aggravé les déséquilibres extérieurs en renforçant la valeur de l’euro. Peut-être ne s’agit-il là que d’un effet temporaire, et que l’euro baissera quand les marchés financiers mondiaux reconnaîtront la nécessité d’un taux de change plus faible pour réduire les déficits courants au sein des trois principaux pays latins de la zone euro. Dans le cas contraire, le prochain défi de la BCE consistera à trouver le moyen de provoquer une baisse de l’euro.

Traduit de l’anglais par Martin Morel

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