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Nourrir dix milliards d’être humains

STOCKHOLM – Notre régime alimentaire actuel est mauvais pour notre santé comme pour la planète. Deux milliards de personnes sont aujourd’hui obèses ou en surpoids. Cette alimentation inadaptée constitue la première cause de maladies non transmissibles, soulevant un plus grand risque de morbidité que les rapports sexuels non protégés, l’alcool, le tabac et les drogues, le tout réuni.

Dans le même temps, la manière dont nous produisons et consommons ces aliments met à mal la santé de la planète. Notre alimentation est à l’origine d’environ un quart des émissions de gaz à effet de serre, et constitue la première cause de modification de l’utilisation des terres, de disparition de la biodiversité, et d’une consommation d’eau qui laisse les rivières asséchées.

La quantité de livres évoquant alimentation saine et perte de poids démontre à elle seule combien les individus souhaitent adopter un régime plus adapté. Or, rares sont les États qui agissent pour améliorer la consommation alimentaire et préserver l’environnement. La grande question consiste à savoir si un régime alimentaire sain sera possible pour une population mondiale qui devrait atteindre dix milliards d’individus d’ici 2050.

Il y a deux ans, la Commission EAT-Lancet, composée de 37 scientifiques issus de 16 pays – et à laquelle j’ai moi-même participé – a entrepris de répondre à cette question. Nous avons commencé par déterminer ce que devait contenir un régime alimentaire propice à une vie saine. Nous avons ensuite exploré les implications d’une telle alimentation pour la durabilité mondiale de la production alimentaire dans le futur.

La Commission a rendu ses conclusions au mois de janvier, dans la revue médicale The Lancet. Notre rapport identifie pour la première fois certains objectifs scientifiques concernant les régimes alimentaires et le système de production de l’alimentation à l’échelle mondiale. Ayant d’ores et déjà fait l’objet de plus de 5 000 sujets d’actualité dans les médias internationaux, ce rapport touche clairement un point sensible, ce qui n’est pas surprenant dans la mesure où ses conclusions revêtent des implications pour les entreprises de l’alimentaire, les exploitants agricoles et les consommateurs du monde entier.

Principale conclusion de notre rapport, appuyée par de nombreuses données examinées par des pairs, il est effectivement possible de nourrir dix milliards de personnes sur une planète durable. Cet accomplissement exigera néanmoins une transformation du système alimentaire, afin de remédier à l’obésité, d’améliorer la santé, de stopper la disparition des forêts, de réduire les émissions de gaz à effet de serre, et de préserver les océans.

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Trois nécessités majeures s’imposent notamment à notre monde. Nous devons premièrement réduire de moitié le gaspillage alimentaire d’ici 2050. Nous devons par ailleurs nous orienter vers des systèmes de production plus efficients et plus durables, tout en investissant dans des cultures plus saines. Enfin, nous devons consommer davantage de fruits, de fruits à coque, de légumes verts et de légumes secs, tout en réduisant notre consommation de produits laitiers et de viande rouge. D’après notre analyse, la transition vers ce régime alimentaire équilibré pourrait empêcher 11 millions de décès prématurés chaque année.

Pour y parvenir, la Commission propose un régime alimentaire dit « planetary health diet » de 2 500 calories par jour pour un être humain moyen ayant une vie active. Ce régime alimentaire prévoit un certain nombre de fourchettes de consommation journalière pour différentes catégories d’aliments (par exemple 200 à 600 grammes de légumes par jour). Nous recommandons une consommation de viande rouge significativement inférieure à celle qui prévaut actuellement dans la majeure partie du monde.

Notre proposition de régime hebdomadaire typique inclut une pièce de viande hachée, deux plats de volaille, et un ou deux plats de poisson, les autres repas étant à base de légumes. Nos fourchettes de catégories d’aliments satisfont également pleinement aux régimes végétarien et végan. Autre possibilité, les aliments d’origine animale peuvent être consommés comme assaisonnements plutôt que faire partie intégrante d’un repas.

Nous avons beaucoup travaillé pour que ce régime alimentaire soit flexible, et qu’il puisse s’adapter aux différents produits et cultures, que ce soit en Asie, en Europe, en Afrique ou sur le continent américain. Le régime méditerranéen couramment observé il y a une génération, riche en légumes et fruits frais, partage de nombreux points communs avec notre planetary health diet. De même, nous qui habitons les pays scandinaves consommions autrefois moins de viande et de produits laitiers, ce que recommande aujourd’hui la Commission.

Il est important de souligner que le seul passage au régime que nous préconisons ne suffira pas à instaurer une production durable. Il nous faut également améliorer la manière dont nous produisons ce que nous consommons. Il n’existe pas de chemin unique vers une production durable. Qu’ils opèrent dans les grandes entreprises, dans les élevages intensifs, dans les petites exploitations agricoles, ou dans les fermes bio, tous les producteurs alimentaires peuvent appuyer cette transition en matière d’alimentation et de durabilité.

Depuis la publication du rapport, la Commission voit ses conclusions susciter un soutien considérable. Dans le même temps, plusieurs groupes industriels et autres observateurs affirment que la viande et les produits laitiers constituent une partie importante d’un régime nutritif. Je suis d’accord pour reconnaître que ces produits peuvent faire partie d’un régime alimentaire sain, mais à condition d’être consommés en quantités bien inférieures aux niveaux actuellement observés.

Certains considèrent qu’il serait tout simplement impossible pour d’importantes populations d’adopter un régime alimentaire sain et durable. Or, nous pouvons aujourd’hui retracer au niveau mondial à quel point l’alimentation a changé ces dernières dizaines d’années. Nous souhaitons désormais que notre rapport amorce une discussion entre tous les protagonistes – des exploitants agricoles jusqu’aux consommateurs – autour des aliments que nous consommerons, et de la manière dont nous les produirons, dans dix, 20 et 30 ans. Si nous y parvenons, notre système alimentaire pourra alors peut-être favoriser plutôt qu’affecter notre santé et celle de la planète.

Traduit de l’anglais par Martin Morel

https://prosyn.org/YyhCxPdfr