Pouvoir du peuple ou pouvoir de Poutine ?

Alors que je participais à une cérémonie très simple mais pleine de dignité à la mémoire d'Anna Politkovskaya, la journaliste russe assassinée – "une femme courageuse au-delà de toute limite" – selon les mots de son éditeur, je repensais à un autre hommage posthume auquel j'avais participé à Moscou il y a presque 17 ans. Contrairement à Anna Politkovskaya, Andreï Sakarov, le grand scientifique et militant des droits de l'homme, n'avait pas été assassiné et la cérémonie en sa mémoire paraissait marquer une ère nouvelle. Une nouvelle page s'ouvrait, une page pleine d'incertitude, mais aussi pleine d'espoir de voir la Russie devenir un "pays normal".

C'est sans doute cette page qui vient d'être définitivement tournée avec l'assassinat d'Anna Politkovskaya. Ce dont la petite foule d'intellectuels réunie à Paris faisait le deuil était l'espoir d'une Russie différente. Nous enterrions le rêve collectif des intellectuels et des démocrates d'une Russie dans laquelle liberté et respect du droit auraient pris racine et fleuri après le long et froid hiver soviétique. Les portraits d'Anna Politkovskaya, comme une multitude de miroirs, nous rappelaient à une réalité bien plus noire. Le rêve était fini, il n'avait sans doute à aucun moment été réalisable.

Nous assistons aujourd'hui à un scénario totalement différent. La Russie reprend l'une des premières place sur la scène internationale, elle retrouve puissance et influence en remplaçant l'armement nucléaire par le pétrole et le gaz et la peur par la cupidité. L'équilibre de la terreur de l'ère soviétique a cédé la place à une dépendance énergétique unilatérale en faveur de la Russie. Avec leur fortune colossale, les milliardaires russes achètent des propriétés somptueuses à travers le monde et la Russie achète certains Allemands en vue comme l'ancien chancelier Schroder, et peut-être même le soutien de l'Allemagne en tant que telle.

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