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Le Kenya dans l’œil du cyclone

NAIROBI – La saison des pluies tire à sa fin au Kenya et les pluies diluviennes aux proportions bibliques qui se sont abattues cette année n’ont pas seulement emporté la bonne humeur des Kenyans, mais également les ponts, les bus, le bétail et les cultures. Les dégâts ne peuvent toutefois être imputés aux seules conditions météorologiques.

Les routes ont particulièrement souffert : les grands axes de la capitale sont truffés de nids-de poule, parfois de la taille d’une voiture. Près des bureaux des Nations unies sur Limuru Road, par exemple, un trou particulièrement important, empli d’eau, a coupé une voie de circulation et créé des bouchons de près d’un kilomètre de chaque côté. Ailleurs, les véhicules avancent lentement, cahotant d’un cratère à l’autre, tandis que les passagers des minibus matatu sont sérieusement bringuebalés sur le chemin du travail.

La question pourrait être : mais que fait le gouvernement ? Les nids-de-poule sont somme toute une indication de base et hautement visible du bien-être économique et social d’un pays. Des routes en bon état sont le signe de l’efficacité d’un gouvernement, tandis que des routes défoncées trahissent son incompétence. Tout gouvernement cherchant à conserver le soutien des électeurs fera tout son possible pour s’assurer que les routes sont carrossables. Pourquoi pas au Kenya ?

La réponse est purement d’ordre économique : le gouvernement n’a pas les moyens pour ce faire. Considérons la situation budgétaire du Kenya. Aujourd’hui, près de la moitié des recettes du pays est consacrée aux salaires et avantages mirobolants des fonctionnaires gouvernementaux – députés, gouverneurs, représentants locaux et nationaux et des légions d’autres agents de la fonction publique.

Quelques 40 pour cent supplémentaires sont attribués au service de la dette externe publique qui va croissant et qui représente aujourd’hui plus de la moitié du PIB annuel du Kenya – un signal d’alarme pour les agences de notation. Il faut ajouter à cette situation la propension mystérieuse qu’a un tiers du budget national à simplement disparaître, vraisemblablement dans les poches de politiciens vénaux, et le Kenya réunit toutes les conditions d’une grave et imminente crise économique.

La bonne nouvelle est que le chaos engendré par les conditions météorologiques coïncide avec des efforts renouvelés pour supprimer les blocages budgétaires et administratifs. Pour commencer, le président Uhuru Kenyatta a récemment annoncé une importante campagne de lutte contre la corruption qui, contrairement à de précédentes initiatives de ce genre, a déjà produit des résultats. Plusieurs hauts fonctionnaires ont fait l’objet d’enquêtes et sont poursuivis, certains sont passés en jugement, d’autres ont été limogés et assignés à résidence. Cette situation inédite a une explication évidente : lutter contre le vol de l’argent public par des acolytes du gouvernement est le moyen le plus rapide et le plus efficace d’augmenter les revenus de l’État.

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Évidemment, mettre fin au détournement des fonds publics est aussi une manière de rassurer les créanciers et le coup de balai actuel ne doit rien au hasard. En septembre prochain, une délégation du Fond monétaire international (FMI) retournera à Nairobi pour évaluer les progrès du Kenya en matière d’assainissement budgétaire – et plus spécifiquement si le pays s’est conformé aux conditions d’octroi de la facilité de crédit de confirmation de 1,5 milliard de dollars. Les autorités kenyanes sont clairement inquiètes,  étant donné que le FMI, ayant déjà placé le Kenya dans la liste des pays sous surveillance de leur dette, exigera sans doute de nouvelles mesures de rigueur budgétaire. Au moment même où le Kenya doit emprunter pour combler un énorme déficit budgétaire, son gouvernement est confronté à la froide logique de la finance internationale.

Sur un plan plus général, le Kenya, comme le reste de l’Afrique, approche d’un point de basculement démographique dont il devra tenir compte. Selon Salih Booker et Ari Rickman du groupe de réflexion américain Center for International Policy, d’ici 2035 l’Afrique comptera à elle seule plus de jeunes sur le marché du travail que tous les autres pays du monde combinés et d’ici 2050, une personne sur quatre dans le monde sera africaine. Si suffisamment d’emplois sont créés pour cette nouvelle génération, les bénéfices pour les économies africaines seront énormes. Mais dans le cas où les générations futures ne trouvent pas de débouchés productifs pour leurs compétences, les répercussions sociales pourraient être profondes.

Le gouvernement kenyan en est bien conscient, raison pour laquelle le programme de développement vision 2030 donne la priorité au secteur manufacturier, à la santé, à l’éducation et à la construction de logements abordables. Mais aussi louables que soient ces objectifs, les ambitions du gouvernement sont difficiles à réconcilier avec les rues de Nairobi durant la saison des pluies.

Avançant péniblement le long d’une route pleine d’ornières, qui se trouve être l’une des grandes avenues de la ville, les Kenyans ne sont que trop conscients du fait qu’un nid-de-poule n’est pas qu’une simple dégradation de la chaussée, mais une illustration des crises en devenir plus profondes que le Kenya, comme une majorité des pays du continent, n’ont que trop tardé à prévenir.

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