pa3096c.jpg Paul Lachine

L’Égypte garante de paix ?

TEL-AVIV – Avant que le conflit actuel opposant Israël au Hamas à Gaza ne dégénère davantage, il est nécessaire qu’un cessez-le-feu soit négocié. Bien évidemment, comme dans le cas des cessez-le-feu précédents, toute trêve sera certainement temporaire, inévitablement compromise par les forces perpétuant le conflit armé entre Israël et le Hamas. Néanmoins, la Syrie étant plongé dans une guerre civile, et compte tenu plus largement de la nature instable du Moyen-Orient, un cessez-le-feu est fondamental pour à la fois sauver des vies humaines et préserver une paix régionale fragile.

Beaucoup dépendra de l’Égypte, qui est la mieux placée pour négocier un accord. Mais l’analyse des perspectives de tout effort diplomatique exige de comprendre les points de vue et les agendas des protagonistes en présence.

Israël n’applique pas de politique généralisée vis-à-vis de Gaza. L’ancien Premier ministre israélien Ariel Sharon avait pris une décision courageuse en se retirant unilatéralement de Gaza et en y démantelant les colonies israéliennes. Seulement, celui-ci est tombé malade avant que ces mesures ne puissent être intégrées dans un plus large effort de résolution de la question palestinienne.

Son successeur, Ehud Olmert, avait commencé à négocier un accord de statut final auprès du président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas. Ceci ne permit pas cependant de mettre un terme à la violence émanant de Gaza, qui n’appartient plus de fait à l’Autorité palestinienne et est devenue un proto-État contrôlé par le Hamas. L’Opération « plomb durci » lancée à l’hiver 2008-2009 par Israël ré-établit une certaine dissuasion, et conduisit à une période de relatif calme ; il a pourtant semblé clair, depuis le début de l’année 2012, que les parties s’orientaient de nouveau vers le conflit.

Au cours de son premier mandat en tant que Premier ministre d’Israël, Benyamin Netanyahou a refusé de continuer de négocier avec l’Autorité palestinienne selon les dispositions d’Olmert, et n’a jamais envisagé de mener des négociations auprès du Hamas. Certes a-t-il accepté de libérer des prisonniers palestiniens en échange d’un soldat capturé, Gilad Shalit, mais pour Netanyahou, comme pour la plupart des Israéliens, il est inutile de négocier face à une organisation dont la charte ouvertement antisémite conteste le droit à l’existence-même d’Israël.

Du point de vue de Netanyahou, il n’existe aucune solution satisfaisante au problème de Gaza. Son objectif consiste à obtenir et à maintenir le calme le long de la frontière. Israël fournit électricité, eau et accès à Gaza, mais maintient également un siège destiné à empêcher l’importation d’armes plus nombreuses et plus meurtrières. Les dirigeants israéliens ont connaissance de l’accumulation par le Hamas de missiles à moyenne portée, principalement transportées en contrebande dans le Sinaï par des tunnels souterrains, mais continuent d’affirmer qu’en l’absence de siège, l’Iran et d’autres seraient en mesure de fournir des armes en plus grand nombre, et des armes plus sophistiquées.

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En fait, Israël a réalisé ces dernières années que Gaza hébergeait suffisamment de roquettes et de missiles pour paralyser le sud de son territoire. Un certain nombre de villes israéliennes majeures ont été frappées à plusieurs reprises. Au cours de l’Opération « plomb durci », certaines roquettes ont dangereusement touché les alentours de Tel-Aviv et de l’aéroport Ben Gourion. Pour les dirigeants israéliens, la possibilité et la survenance d’une frappe sur Tel-Aviv n’était plus qu’une question de temps.

Pour sa part, le Hamas, branche palestinienne des Frères musulmans, s’efforce de consolider son contrôle sur Gaza, qu’elle utilise comme une base à partir de laquelle prendre le contrôle de la Cisjordanie et du Mouvement nationale palestinien. Une telle issue serait comparable à la prise de pouvoir par les Frères musulmans en Égypte, confirmant davantage sa suprématie dans la région.

Un certain nombre d’événements récents semblent avoir renforcé la confiance du Hamas. Bien que le conflit entre l’Iran et ses rivaux sunnites, ainsi que la guerre civile en Syrie, l’ait contraint à relâcher ses liens avec l’Iran et la Syrie pour se positionner du côté des Sunnites, il s’est agi là d’événements bien commodes à de nombreux égards. Le Hamas se sent plus à l’aise à proximité d’une Égypte dominée par son mouvement apparenté. L’émir du Qatar a effectué une visite à Gaza comme une récompense de l’éloignement du Hamas avec l’Iran, et laissé derrière lui un gros chèque.

Mais le Hamas n’est pas seul à Gaza. Son hégémonie est défiée par un Jihad islamique encore plus radical (qui demeure allié à l’Iran) ainsi que par divers groupes salafistes et djihadistes, dont certains sont proches d’éléments radicaux dans le Sinaï, ce qui complique les relations du Hamas avec l’Égypte. Par ailleurs, ces groupes en appellent régulièrement à des attaques sur Israël depuis Gaza ou via le Sinaï, générant des cycles de violence qui embarrassent le Hamas.

Dans le même temps, il est possible que la pression exercée par ces groupes plus radicaux ait conduit le Hamas à devenir lui-même plus agressif ces derniers mois, sans doute incité par sa conscience de la possibilité pour son riche arsenal de roquettes Fajr-5 d’atteindre la zone de Tel-Aviv en cas de représailles d’Israël à plus grande échelle. Les changements survenus en Égypte en termes de politique et de mesures adoptées ont eu un effet similaire : le Hamas a considéré qu’Israël ne risquerait pas de mettre en danger sa fragile relation avec l’Égypte en lançant une nouvelle opération de terrain à Gaza.

Le Hamas a été pris par surprise lors d’une attaque par Israël ayant entraîné la mort de son dirigeant militaire, Ahmed al-Jabari, et ayant détruit la majeure partie de son arsenal de Fajr-5. Il a répondu par des frappes massives sur le sud d’Israël, parvenant également à envoyer plusieurs missiles vers Tel-Aviv, et un autre vers Jérusalem. Les sirènes de raid aérien se sont finalement fait entendre dans les rues des deux plus grandes villes israéliennes.

En retour, Israël est visiblement en préparation d’une opération terrestre de grande envergure. Israël ne souhaite pas vivre une seconde opération Plomb durci, mais bien plus en mesure d’accepter un cessez-le-feu stable et durable.

Une telle trêve est possible. L’assaut israélien a abouti à des résultats initiaux impressionnants, tandis que le Hamas peut se vanter d’avoir atteint Tel-Aviv avec ses missiles, un exploit que n’avait pu accomplir le Hezbollah lors de la guerre du Liban de 2006.

Par ailleurs, l’Égypte, mentor et sage allié du Hamas, maintient relations et canaux de communication avec Israël, et ne souhaite pas rompre tous les liens – car cela provoquerait notamment une confrontation avec les États-Unis, qui financent l’armée égyptienne.

En réalité, le président égyptien Mohamed Morsi est en quête de davantage d’aide financière de la part des États-Unis et du Fonds monétaire international, et entend bien faire de sa prochaine visite à Washington DC un succès. Il aspire également à rétablir la place de l’Égypte en tant que force régionale majeure. Il lui serait bénéfique sur tous les plans de jouer le rôle du pacificateur.

Morsi se livre ainsi à un exercice de jonglage. Il a dénoncé et mis en garde Israël, rappelé l’ambassadeur d’Égypte à Tel-Aviv, et envoyé son Premier ministre à Gaza. Mais il n’a pour l’instant franchit aucune ligne rouge.

Il est nécessaire d’agir rapidement. La poursuite des combats est vouée à faire entrer en jeu de nouveaux acteurs (dont la Turquie). Si les États-Unis et l’Europe choisissent de demeurer inactifs, il leur appartient tout au moins d’encourager l’Égypte à jouer son rôle.

L’obstacle majeur de l’Égypte réside dans l’insistance du Hamas en faveur d’un terme au siège israélien ainsi qu’aux assassinats ciblés, dans le cadre d’un accord de cessez-le-feu. Le défi pour les dirigeants égyptiens consiste à persuader le Hamas d’accepter le compromis sans davantage de violence.

Traduit de l’anglais par Martin Morel

https://prosyn.org/7rbIq6afr