sheng77_2_Justin_Merriman_Getty_Images Justin Merriman/Getty Images

Le populisme, Trump et la colère populaire

HONG KONG – Beaucoup d'observateurs mettent sur le compte de l'extrême-droite la révolte populiste qui laboure nombre de pays occidentaux. Les partis extrémistes ont remporté des élections en prenant en compte les revendications de la classe populaire, tout en jouant sur les peurs et en attisant les divisions. Mais à pointer du doigt exclusivement les politiciens qui manipulent la colère populaire, on ne prend pas en compte la colère elle-même, dirigée contre les élites qui se sont enrichies au cours des 30 dernières années alors que les classes moyennes et populaires stagnaient.

Deux analyses récentes touchent au cœur de ce qui est en jeu, non seulement aux USA, mais dans d'autres parties du monde. Dans son nouveau livre, Tailspin, le journaliste Steven Brill explique que les institutions américaines ne remplissent plus leur fonction, car elles ne protègent plus que la minorité aisée de la population, laissant la grande majorité à la merci des prédateurs financiers et économiques du libéralisme. Pour lui, c'est une conséquence de la méritocratie américaine : les meilleurs ont eu la possibilité de parvenir au sommet, mais une fois atteint ce dernier, ils ont tiré derrière eux l'échelle qui permettait d'y parvenir en mettant la main sur les institutions démocratiques pour défendre les privilèges qu'ils ont acquis.

Le philosophe Matthew Stewart est du même avis : "La classe méritocratique est devenue maître dans l'art d'accroître son patrimoine et de rendre ses privilèges héréditaires au détriment des autres enfants". Durant les années 1980, les 90% les moins fortunés de la population des USA détenaient au mieux 35% des richesses du pays, mais cette part a dégringolé à peine 20% trois décennies plus tard, montre-t-il. La différence est allée pour l'essentiel dans la poche des 0,1% les plus riches. Les 9,9% de la population entre ces deux groupes, que Stewart qualifie de "nouvelle aristocratie américaine", inclut ce que l'on appelait la classe moyenne. En 1963 cette "aristocratie" était 6 fois plus riches que les 90%, mais les inégalités se sont creusées au point qu'elle est maintenant 25 fois plus riche.

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