La dictature mourante de l'Algérie

ALGER – Malgré sa santé défaillante, le Président algérien Abdelaziz Bouteflika a remporté son quatrième mandat le mois dernier avec 81% des voix, si l'on en croit les chiffres publiés par le régime. En fait, loin de rendre compte de l'instabilité politique croissante, la victoire fictive du candidat de 77 ans souligne le peu d'options dont disposent les Algériens à l'intérieur du système.

Sous la direction du président Bouteflika, le gouvernement algérien a échoué à relever les défis économiques et sociaux les plus urgents du pays. Et il n'y a aucune raison de s'attendre à un changement. Depuis son accident vasculaire cérébral de l'an dernier, Bouteflika est à peine apparu en public, ni pour faire campagne avant le scrutin, ni même pour endosser sa victoire après les élections.

En conséquence il est de plus en plus difficile pour le régime de prétendre, comme il le fait depuis ces 15 dernières années, que le leadership de Bouteflika représente le pouvoir civil sur l'armée. Ainsi, il a mis au point une nouvelle stratégie, dans le but de donner du sens à la transition : la constitution sera modifiée pour désigner un vice-président comme successeur légitime au président. Bien sûr, le véritable but de cette mesure consistera à autoriser l'armée à se rallier au prochain « dirigeant civil » conciliant.

Le régime va également proposer un « contrat national », soi-disant pour engager un dialogue avec l'opposition. Mais suite à la victoire factice de Bouteflika, l'opposition ne peut plus accepter un rôle fictif dans les projets de réforme du régime.

En fait, l'annonce de la candidature de Bouteflika a suffi à réunir les islamistes et les gauchistes (même les partis qui avaient été cooptés par le régime) et à les inciter à organiser le boycott du vote. Lorsque les résultats des élections ont été annoncés, ils ont rapidement rejeté le nouveau gouvernement comme illégitime.

Mais pour gagner en crédibilité, les partis d'opposition vont devoir étendre leur critique au-delà de Bouteflika et viser le système dans son ensemble. Cela est devenu indispensable à leur survie, comme les opposants plus jeunes qui recherchent de nouvelles méthodes pour apporter des changements politiques en dehors de la politique d'État.

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Un développement important est l'influence croissante des voix non partisanes de la dissidence. Des mouvements non-violents se sont formés pour protester non seulement contre le leadership continu de Bouteflika, mais aussi contre le rôle omniprésent de l'armée et des services de renseignement dans la société civile. Ces mouvements, comme Barakat  (« Ça suffit ! ») qui est très présent dans les médias, ont encouragé le passage chez les Algériens de l'abstention marquée par le ressentiment, au boycott actif.

Les syndicats clandestins (qui organisent des manifestations et des grèves pour protéger les droits des travailleurs, tout en refusant de coopérer avec les syndicats officiels du régime) ont également critiqué les élections. De plus, les jeunes ont joué un rôle de premier plan dans les efforts de l'opposition, par exemple en perturbant les meetings de campagne de Bouteflika. Des manifestations de jeunes chômeurs dans le Sud de l'Algérie, centre de l'industrie pétrolière, ont établi un lien direct entre le fort taux de chômage et le contrôle des ressources naturelles par l'armée du pays.

En organisant des manifestations pacifiques pour demander des comptes sur les dépenses publiques, ces mouvements soulèvent les questions qui n'ont pas été abordées pendant la campagne électorale. Plus directement, ils contestent aussi l'interdiction des manifestations de rue par le gouvernement : un vestige de l'état d'urgence qui a duré de 1992 à 2011. Alors que la guerre civile des années 1990 est terminée depuis longtemps, les fonctionnaires de sécurité publique ne peuvent pas expliquer pourquoi ils arrêtent des Algériens qui demandent du travail.

Bien sûr, la répression continue à intimider de nombreux Algériens. Mais il est de plus en plus facile de réveiller leur sympathie pour leurs concitoyens grâce à Twitter, YouTube et Facebook. En stimulant chaque jour l'opinion publique sur les violations des Droits de l'Homme dans le pays, ils diffusent leur message de mécontentement plus efficacement que tous les partis traditionnels avant eux.

En exigeant de meilleurs services publics, plutôt qu'un « Printemps arabe », les Algériens jouent une partie serrée, en révélant l'incapacité du régime à assurer la sécurité et la prospérité économique, en dépit de ses efforts pour étouffer tout débat. Ainsi, même sans parler explicitement de politique, les Algériens ordinaires se mobilisent en nombre croissant contre le gouvernement.

La majorité des manifestations de rue ont lieu dans les zones les plus défavorisées et les plus négligées. Les principales exigences sont d'ordre économique : de meilleurs emplois, des logements, des services de santé et des infrastructures. Pour certains, le droit de gagner leur vie grâce au marché informel pourrait suffire.

Les manifestants ont déployé beaucoup d'énergie, parfois non sans causer quelques dégâts, afin d'être entendus, en bloquant les routes, en occupant les usines et les bâtiments officiels et en sabotant les infrastructures d'eau et d'électricité. Plus de 150 Algériens se sont même immolés par le feu depuis 2011, généralement devant des bâtiments de services publics.

Dans ce contexte, l'échec des tentatives avortées du gouvernement pour acheter des manifestants n'est pas surprenant. En 2011, le gouvernement qui craignait la contagion de la Tunisie et de l'Égypte, où les dictatures établies de longue date venaient d'être renversées, a répondu à la propagation des manifestations de travailleurs du secteur public en augmentant leurs salaires de 100%, rétroactivement jusqu'en 2008. Mais ce plan a échoué : les manifestations se sont intensifiées, avec d'autres travailleurs qui manifestaient pour des prestations similaires et se révoltaient contre l'inflation causée par cette mesure.

Les manifestations de rue influencent sans aucun doute profondément le régime autoritaire algérien. Car les craintes officielles de soulèvements massifs affectent les budgets publics et les nominations politiques. Mais la décision de prolonger la présidence de Bouteflika ne va pas produire le genre de leadership fort et innovant dont l'Algérie a besoin pour concrétiser les promesses de stabilité du régime. 

Les autorités algériennes sont confrontées à un défi majeur, car le rejet d'institutions pluralistes complique la recherche de partenaires de négociation. Plus le régime tente d'acheter les manifestants, plus il révèle son arrogance et excède ses concitoyens. Cela est particulièrement vrai de la jeune génération furieuse, qui n'a pas peur de perdre le peu d'avantages proposés par le statu quo.

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